1994-2024. Cela fait 30 ans que la cantatrice de la chanson traditionnelle sénoufo à la voix unique et à la timbale nouée à la hanche, Zélé de Papara, a quitté le monde des vivants de façon tragique. Sa maison s’étant écroulée sur elle la nuit lors d’une pluie diluvienne. Cependant, celle qui a permis à la petite localité de Papara, au fin fond du nord de la Côte d’Ivoire, d’être connue à travers le monde, reste encore un mystère aussi bien pour la nouvelle génération que pour de nombreux mélomanes. C’est ainsi que dans le cadre de la 8e édition du Festival international de balafon (Djéguélé Festival) qui se tient à Boundiali du 27 avril au 04 mai, un mini colloque a été organisé le lundi 29 avril par des enseignants chercheurs de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, en vue de montrer à la postérité la dimension sociale et artistique inestimable de cette femme exceptionnelle. « Zélé de Papara : 30 ans après, quel héritage ? », a été le thème autour duquel se sont construites les réflexions.
Né en 1934 à Koulouson (son village natal), Zélé, comme toute bonne femme sénoufo, grandit et se marie dans la pure tradition. Malheureusement, tous les enfants qu’elle mettra au monde ne survivront pas. Après 11 tentatives, elle est répudiée par son mari et traitée de tous les noms d’oiseaux par sa communauté. C’est ainsi qu’elle immigre à Papara, le village de sa mère. Dans son film intitulé « Sur les traces de Zélé de Papara, d’Abidjan à Koulouson, Synopsis d’un terrain » Bassiriman Koné, enseignant chercheur est reparti à Papara à la découverte de ce qui reste de cette grande dame. « Koulouson et Papara sont distant de 20 KM. On aurait pu l’appeler Zélé de Koulouson. Mais c’est à Papara qu’elle adopte son instrument de musique la timbale à hanche. C’est là qu’elle débute la musique et explose », relate l’universitaire.
Il explique qu’à 30 ans, Zélé commence par accompagner les cultivateurs au champ avec ses mélodies. Elle joue au tambour et chante. « Elle chantait tellement bien qu’on l’a sortie des champs pour l’emmener chanter dans des funérailles. C’est à cette époque qu’elle se fait accompagnée du balafon djéguélé», continue-t-il. A l’occasion d’une de la fête tournante de l’indépendance en 1974 à Korhogo, le président Houphouët-Boigny découvre Zélé. Il qui tombe sous le charme de sa musique. « Elle joue et elle plait à Houphouët-Boigny. Et chaque fois qu’il avait une activité à Abidjan, il la faisait venir chanter. Il l’associait à Allah Thérèse lors des galas », relève Bassirima Koné.
Musicalement, les mélodies de Zélé sonnent comme une révolution. « Elle avait plusieurs forces. La qualité de sa voix, l’orchestration de ses chants, le caractère improvisationnel de ses compositions ont fait qu’elle a apporté beaucoup », se réjouit le conférencier qui note l’harmonie entre sa voix et son instrument de prédilection. « Cette qualité vocale, on ne la retrouve plus. Aujourd’hui quand on chante, soit c’est l’instrument qui noie la voix ou c’est le contraire », souligne-t-il.
Kassoum Kourouma, intervenant sur le thème « Genre et développement en milieu rural, le cas de Zélé de Papara », positionne Zélé comme un modèle. Mieux, il pense que la population lui est redevable pour ce qu’elle a fait pour la culture sénoufo. Mais en quoi une femme qui n’a pas eu d’enfant, qui a été répudiée peut-elle contribuer au développement rural ? A cette question Dr Kourouma répond qu’au-delà des enfants, au-delà de l’instruction, elle a autre chose, que sont des valeurs, des modèles, des repères. C’est la preuve que « Le chant de Zélé, a été utile aux champs, par ricochet à la population sénoufo », image-t-il.
Décortiquant les textes de ses chansons, l’enseignant chercheur décèle un engagement pour la cause féminine. « Elle n’aborde pas ces questions de façon frontale. Elle passe par des métaphores. Et celle de la cuisine, où on aimerait retrouver la femme sénoufo, elle parle du plat qui n’a pas de sel. Il faut voir ici le mariage forcé, une union sans la volonté des deux parties qui malheureusement font beaucoup de mal à la société », déplore-t-il.
Ouattara Jonathan, intervenant sur « La représentation sociale du djéguélé en pays sénoufo » a fait une comparaison entre la circonstance du décès de Zélé de Papara et la situation des pratiquants actuels du djéguélé. En conclusion, trente ans après, il note que les musiciens du djéguélé vivent dans la misère. « L’acteur du djéguélé est un cultivateur. Sa carrière de musicien vient en second lieu. Et pour les rétribuer, on leur donne des pièces de monnaies. Le Sénoufo ne conçoit pas cqu’on puisse vivre de cette activité », a-t-il conclu avant d’inviter les acteurs de la culture et les universitaires à se pencher sur la question.
Dans le prolongement de l’hommage à Zélé de Papara, la direction du Djéguélé festival a invité sa nièce, appelée aussi Zélé de Papara, qui perpétue son héritage sur les scènes nationales. Elle jouera aux côtés des grands noms du Balafon que sont Néba Solo, Molobaly Kéïta, Salif de Sobara, Kéïbafone et des artistes internationaux, à savoir Jahelle Bonee, Pratika, Oswald Kouamé…
Par SANOU A.