Par Zouhour Harbaoui
Ce qui se passe, actuellement, avec les migrants africains subsahariens n’a rien d’une nouveauté. Cette situation des plus odieuses, certains artistes de différents pays dits noirs de notre continent l’ont vécue d’une certaine manière. J’appelle au boycott de tous les festivals se déroulant en Tunisie !
Je suis tunisienne, de race arabe, africaine de continent et surtout de cœur. Depuis mes débuts dans le journalisme, ici en Tunisie, en 1998, je n’arrête pas d’écrire sur les conditions d’accueil des artistes africains subsahariens dans les festivals tunisiens. J’ai tiré plus d’une fois la sonnette d’alarme à travers des articles qui ont, quand même, été publiés. Je me suis fait traitée de «pute des Noirs», et, malgré cela, j’ai continué.
J’ai parlé, à travers mes papiers, de l’accueil réservé aux artistes venant de pays d’Afrique subsaharienne ; un accueil qui n’est même pas réservé -et excusez-moi si l’image vous paraît vulgaire mais elle est réelle- à des chiens, mieux traités. J’ai demandé plusieurs fois aux artistes, qu’ils soient du domaine du théâtre, de la musique, du cinéma, etc., de boycotter les festivals tunisiens tant qu’ils ne seront pas respectés. Mes appels sont entrés par une oreille et sont ressortis par l’autre. A croire que même s’ils étaient traités moins bien que des chiens ils voulaient venir en Tunisie, pensant que c’était une sorte de paradis, et que les Tunisiens étaient des gens bien intentionnés.
Des gens bien intentionnés, avec ce qui se passe actuellement ? Laissons affaire de migrants-là aux politiques. Les migrants ne sont, pour ces derniers, que des pièces sur un grand échiquier. Et tant pis s’il y en a qui crèvent… Les migrants ne peuvent pas faire entendre leur voix, même à travers des ONG, des associations, etc., qui, finalement, pensent qu’à leurs propres intérêts qu’à celui de ces personnes. Une bande d’hypocrites !
Par contre un artiste peut faire entendre sa voix, pas à travers des paroles dans lesquelles il insulte, mais en prenant position, et en refusant de participer à n’importe quel événement culturel en Tunisie.
Si les metteurs en scène boycottaient les Journées théâtrales de Carthage (JTC), si les cinéastes boycottaient les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), si les musiciens boycottaient les Journées musicales de Carthage (JMC), etc., les gens, et surtout les journalistes (il y en a qui ne sont pas tous aussi bêtes que ça !), se poseraient des questions pour savoir le pourquoi du comment. Malheureusement, ce boycott est une utopie pour la simple et bonne raison que nous les Africains manquons de solidarité entre nous. D’autre part, il y a des intérêts qui entrent en jeu : les Africains subsahariens de la Diaspora sont mieux accueillis parce qu’ils sont envoyés par l’Europe ou l’Occident en général. Ils sont, donc, considérés comme un trait d’union entre la Tunisie et le Nord. Pas besoin de vous faire un dessin -de toute manière, je suis nulle en dessin.
En 2017, je faisais partie de l’organisation des JTC. J’ai démissionné au bout de deux mois, parce que le directeur de l’époque et son éminence grise étaient d’un racisme éhonté envers les Africains subsahariens. Bizarrement, ce directeur est resté trois ans à la tête de ce festival, alors que les mandats sont de deux ans. La même édition, j’ai dit à l’ancien directeur du FITHEB (festival de théâtre au Bénin) que les Africains subsahariens n’auraient aucun prix aux JTC. Et c’est ce qui s’est passé.
En 2018, je titrais un article «L’Afrique subsaharienne, de nouveau, malmenée». Le 12 décembre 2019, paraissait sur ce site mon article intitulé «JOURNÉES THÉÂTRALES DE CARTHAGE : L’Alissô Théâtre très mal accueilli en Tunisie», qui racontait les déboires de cette compagnie ivoirienne.
En 2021, j’ai pris la décision de boycotter ce festival, mais cela ne m’a pas empêché de suivre de loin. La veille de l’ouverture je publiais dans un journal tunisien en langue française un article intitulé «JTC : Les dés sont pipés et les jeux déjà faits», dans lequel j’écrivais : «le comité de sélection, dans un choix délibéré, a fait en sorte que les productions arabes soient mises en avant au détriment des pièces africaines, comme cela s’est passé à partir de la 19e édition des JTC, avec le retour de la compétition, et ce, afin que les différents prix soient «raflés» par les créations arabes, laissant aux africaines des lots de consolation (quand il y en a), comme le prix de la Francophonie, lorsque l’OIF l’offre (ce qui n’a pas été le cas lors d’une des dernières éditions) (…) Preuve encore que les dés sont pipés et les jeux déjà faits : les membres du jury international sont composés de 3 Arabes (Maroc, Egypte, Liban) et 1 Africain subsaharien (Togo)… Les Journées théâtrales de Carthage sont devenues une véritable mascarade. Pourquoi continuer à les soutenir ? Donc, je boycotte…».
Je parle beaucoup des JTC, parce que comme c’est du théâtre, ce sont des troupes qui se déplacent. Pour le cinéma, c’est autre chose. Les invitations ne concernent que les réalisateurs et/ou un(e) acteur/actrice principal(e), quand le cinéaste ne fait pas inviter sa petite-amie du moment à la place. Et là aussi, il y a deux poids, deux mesures, puisque les réalisateurs arabes peuvent être invités avec deux ou trois personnes en plus…
Je ne fais pas dans la théorie du complot. Pour dernière preuve : en 2021, Hayet Ketat Guermazi a été nommée ministre de la Culture. Celle-ci a été directrice du département de la culture à l’Alecso (Arab League Educational, Cultural and Scientific Organisation, soit Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences… C’est comme un fait exprès !
Alors artistes africains subsahariens : boycottez les festivals tunisiens ! Si ce n’est pour vous, faites-le moins pour ce qui se passe, dans mon pays, avec les migrants. Une main ne peut pas applaudir seule ! Et ma main est fatiguée d’applaudir seule !