La fédération nationale de théâtre de Côte d’Ivoire (Fenath–CI), a organisé un atelier de formation du 22 au 29 novembre 2022, à la Fabrique Culture à Cocody, sur le thème : « La mise en scène, une autre écriture ? ». Et pour l’acte 1 des « Ateliers de la Fenath–CI », c’est une sommité du théâtre international, en la personne de Hassane Kassi Kouyaté, metteur en scène, directeur des francophonies, des écritures à la scène de Limoges, qui a animé cette rencontre durant une semaine. A quelques heures de la cérémonie de remise solennelle des diplômes, Adama Adepoju dit Taxi conteur, président de la Fenath–CI s’est confié à Farafina Culture.
Pourquoi organiser une formation sur le thème : « La mise en scène, une autre écriture ? » ?
Depuis 20 ans, je dirais que le théâtre connait une baisse de régime. Non pas en terme de production, mais en terme de présence dans les espaces de diffusion. 20 ans n’étant pas 20 jours, il faut reconnaitre que beaucoup de choses ont changé. Nous avons jugé important que pour redorer le blason de notre théâtre, nous devons nous ouvrir sur ce qui se passe, en ce moment. Où en sommes-nous à l’international ? On ne demande pas de produire exclusivement pour les autres, on doit gagner du public, mais il faudrait qu’on ait une culture nouvelle, une proposition nouvelle pour les amoureux et amoureuses du théâtre en Côte d’Ivoire et au-delà. C’est pourquoi nous pensons que le formateur est la personne, la mieux indiquée.
En effet, pourquoi avoir porté le choix sur Hassane Kouyaté ?
Hassane Kouyaté, en plus d’être un excellent metteur en scène, dirige un très gros festival. Après le festival d’Avignon, Limoges est le 2e grand festival de théâtre dans l’espace francophone. Et ce festival destiné aux créations francophones a vu passé de grands noms du théâtre. Je dirais que Limoges est la Mecque des rencontres théâtrales de l’espace francophone. C’est pourquoi nous saluons le fait que nos membres soient au parfum des propositions au plan mondial. Quelles sont les tendances ? Comment s’en imprégner pour créer notre originalité ? Nous voulons, comme par le passé, positionner le théâtre à son plus haut niveau. Nous avons fait des salles combles et ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas une fatalité. Nous devons nous poser les vraies questions.
Concrètement, qu’est ce qui a changé au niveau des paradigmes ?
Déjà, disons que les choses ont changé. Les décors ont changé, les créations en terme de nombre d’acteurs sont difficiles à faire tourner. Enfin, il y a une donne à ne pas négliger, c’est le numérique. Nous sommes à l’ère du numérique et il faut que nous soyons dans une sorte de composition, de mettre le numérique au service du théâtre et des créations. Il n’y pas d’antonymie, de duel entre les créations et le numérique. Pour nous, ce sont des outils de création et de diffusion qui touchent les gens d’aujourd’hui. C’est de cela que parlerons au cours des Ateliers de la Fenath-CI. Après cette première formation, il y aura la question de l’administration des troupes, de l’économie du spectacle, de la mise en réseaux des professionnels, etc.
Parlant de diffusion, pourquoi le théâtre ivoirien actuel ne s’exporte pas beaucoup ?
Le pays a connu des moments difficiles. Dieu merci, on a repris du poil de la bête. Mais, il y a des secteurs qui ont du mal à se relancer par rapport à d’autres. Cependant, si on fait un retour dans le passé, avant même la situation politique, il y a eu l’avènement des DVD. Des supports qui ont éloigné les populations des salles de spectacle et des cinémas. Enfin, il y a eu la crise financière qui a créé des priorités.
Malgré cet écosystème, il y a l’humour et à un degré moindre le conte dont vous êtes le plus illustre ambassadeur, en ce moment, qui engrangent un public de plus en plus nombreux…
Que ce soit le conte ou l’humour, on est seul sur scène. C’est une forme légère de spectacle. Le coût de production est réduit. Maintenant, on a de plus en plus de professionnel. On ne va plus demander à des gens de se débrouiller pour venir aux répétitions. Si on veut créer, il faut un budget, mobiliser les fonds, travailler professionnellement.
D’où la nécessité de former ?
La formation est l’essence de tout. Si on y ajoute le préfixe « in », on a « information ». L’information, c’est le nerf de la guerre dans le milieu artistique. Quand l’artiste, le créateur est informé, il tient compte de cette information dans sa création. Il faut la mettre à disposition, c’est ce que nous sommes en train de faire. Il faut qu’on arme artistiquement nos membres. Qu’ils sachent que lorsqu’on est en processus de création, il y a des paramètres qu’il faut prendre en compte. Aujourd’hui si un spectacle doit tourner, on ne le fait pas avec dix comédiens. Des personnes qui ont déjà un nom peuvent le faire. Mais nous ne le conseillons pas.
Après cette semaine de formation, de quoi sont capable les participants ?
On pourrait dire que c’est à eux de répondre à cette question. Mais sur la base de ce que je vois, je puis vous rassurer de l’engouement. Nous avons plusieurs générations qui travaillent en synergie, des plus âgées aux plus jeunes. Ils ont été dans la disposition dans laquelle devrait être un artiste : j’ai à apprendre toujours, je dois apprendre, on n’est jamais arrivé. Et comme le disait mon maitre Zadi Zaourou : l’artiste est un perpétuel malade. Chaque fois qu’il crée, c’est un remède pour se soigner. Et chaque fois qu’il prend ce remède, il n’est pas totalement guéri, il faut qu’il crée à nouveau. Il est en perpétuelle création. Et, qui est en constante création, est constamment en recherche. Les participants seront à même de comprendre l’environnement du spectacle mondial. On ne peut plus vivre en autarcie, aussi bien au niveau physique que virtuel. Ils auront l’information d’où est-ce qu’ils peuvent mobiliser de l’argent pour leurs productions, où introduire les dossiers. Ils pourront enfin créer un identité d’écriture scénique (metteurs en scène) parce que toutes les écritures se ressemblent aujourd’hui.
N’est-ce pas vers cela que mène la mondialisation ?
Le souci, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’écriture spécifique aux metteurs en scène. Cela a existé chez nous. Quand on voyait le théâtre rituel, on reconnaissait Marie José Hourantier, Wêrê Wêrê Liking ; quand on dit Didiga, c’est Zadi Zaourou ; la ‘’griotique’’ avec Niangoran Porquet ; on avait du Souleymane Koly avec l’ensemble Kotéba… ils seront capable de le faire. Car, comme l’a indiqué le formateur, il y a le metteur en scène et le metteur sur scène. Le metteur en scène gère les entrées et les sorties et fait la direction d’acteur. Quand il réussit cela, il peut impulser son originalité, sa marque. C’est vers cela que nous allons. On s’inspire tous de quelqu’un mais il faut avoir son authenticité, se créer une identité.
En tant que président du Fenath-CI, pensez-vous pouvoir sortir le théâtre de sa léthargie en quatre ans ?
C’est un objectif. J’espère qu’on réussira à le faire. Si au bout de quatre ans, on réussit à avoir une création produite par la Fenath-CI et qui tourne, on aura gagné quelque chose car ça ouvrira une porte. Les autres diront, regardez du côté de la Côte d’Ivoire, il y a des choses qui s’y passent. Nous avons des talents énormes. Mais il nous manque l’organisation, la stratégie, la formation de qualité. Qu’il y ait des changements qualitatifs des compagnies. Que ce ne soit plus le responsable du groupe ou le metteur en scène qui est en même temps acteur, éclairagiste, ingénieur de son…
Culturellement, la Côte d’Ivoire devient le hub sous régional. Malheureusement, les artistes et professionnels ivoiriens sont à la traine. Que faut-il faire pour qu’ils prennent effectivement leur place ?
C’est un constat qu’on fait dans plusieurs domaines artistiques. On est à la traine parce qu’on dort encore sur nos lauriers. On veut aller vite, avoir rapidement de l’argent. Il faut des gens passionnés, qui mettent le professionnalisme avant tout. Ne pas être toujours en retard, honorer les rendez-vous, ne pas jouer avec les répétitions. Il faut qu’on arrête, une fois pour toute, les attitudes défaitistes où on pense que rien n’est pour nous, que c’est toujours aux autres qu’on donne au niveau des appels à candidature. Enfin, il faut aller aux spectacles. Même les mauvais spectacles nourrissent. N’attendons pas les invitations. Quand on applaudie un comédien aujourd’hui, demain, il a la grosse tête. Si on l’a applaudie en tant qu’comédien, demain, il devient metteur en scène. Il n’a même pas eu le temps d’exploiter tout son potentiel. Si c’est un danseur, il dit qu’il est chorégraphe. Si c’est au cinéma, il devient réalisateur. Pour finir, qu’on apprenne à se faire confiance un tout petit peu.
Interview réalisée par Sanou A.