Casa Conti – Ange Leccia est un lieu dédié aux images en mouvement, à mi-chemin entre cinéma et art contemporain. Depuis le 29 avril 2022, ce lieu abrite l’exposition des œuvres de Mounir Fatmi. L’artiste, à travers diverses pratiques artistiques, explore la thématique de l’exilé. Madeleine Filippi,curatrice et critique dart, assure le commissariat de cette exposition. Elle revient, dans cet entretien, si les particularités e l’artiste exposant. Il faut noter que l’exposition est ouverte jusqu’au 2 juillet 2022.
Propos recueillis par Julien Tohoundjo
Dites-nous, selon vous, ce qui fait la particularité de lartiste Mounir Fatmi
Les enjeux du déplacement des populations sont au cœur de nombreux débats. La figure de l’exilé, du migrant, qui prolifère dans de nombreuses pratiques actuelles, et souvent de manière archétypale, par la présence d’objets emblématiques tels que : la couverture de survie, les chaussures, les valises, les embarcations etc., apparaît de cette sorte dans le travail vidéo de Mounir Fatmi mais de manière plus subtile. Il ne convoque pas uniquement le discours politique sur le sujet réducteur de la migration humaine mais une réflexion symbolique sur la psychologie de lexilé. Et cest ici tout lenjeu de lexposition.
A travers cette présente exposition, comment se présente la scénographie de cette dernière ?
La scénographie a été pensée afin de plonger le spectateur au sein de la psyché d’un exilé. Le choix de présenter ce projet au sein de cette ancienne demeure traditionnelle devenue centre dart, n’est pas anodin. C’est un subtil clin d’œil à Carl Jung qui avait pour habitude d’accompagner ses patients dans le processus thérapeutique en leurs faisant imaginer une maison, avec ses portes et ses fenêtres. Ici les œuvres se muent en souvenirs qui surgissent à l’esprit de l’exilé. Les murs rouges font écho au travail de montage vidéo de l’artiste, pour qui la couleur fait lien et suture les angoisses de celui ou celle qui se déracine.
Dans lancien salon, une télé posée au sol sur un tapis traditionnel, invite le spectateur à sinstaller « comme à la maison ». Au cours de la déambulation le spectateur fait des liens, trouve les jeux décho, découvre les étapes psychologiques auxquelles se confronte une personne en exil. L’exposition débute avec l’œuvre forte en symbolique « L’histoire ne mappartient pas », où l’on découvre l’artiste qui frappe au marteau une machine à écrire rendant impossible toute lecture. Présage d’un nécessaire lâcher prise dans le processus de résilience. Puis, viens le grand départ. Mounir Fatmi nous fait prendre successivement le bateau et un avion, on observe alors ce moment où l’on devient exilé.
Au bruit lancinant de cette machine à écrire, viennent s’adjoindre des images d’archives, des chants traditionnels arabes et des sons occidentaux. Quelque part entre les silences et les souvenirs, le paradigme de l’exil s’installe et se révèle aux spectateurs.
Que voulez-vous révéler particulièrement de l’artiste ?
Je ne suis pas certaine que ce soit mon rôle de révéler quelque chose de lartiste. Il a bien plus à dire que moi. En tant que curatrice, je suis là pour faire le lien, pour faire la médiation entre ces différentes œuvres. Cette sélection de vidéos autour de l’exil nest quun aspect de son travail vidéo.
Personnellement, en quoi le travail de l’artiste vous a impacté et pourquoi le choix de cette thématique pour présenter ses œuvres ?
Cela fait plusieurs années que je connais Mounir Fatmi, jai déjà présenté son travail notamment à Rome. Il me semblait important de prendre le temps de réfléchir au médium vidéo au sein de sa pratique. Den saisir les fils rouges et les mécanismes. La thématique de lexil est lune dentre elles. Le centre dart Casa Conti Ange Leccia et son équipe nous ont offert un véritable écrin. Il sagit dun lieu dédié́ aux images en mouvement, à mi-chemin entre cinéma et art contemporain.
Par ailleurs, nous faisons tous les deux partis d’une diaspora, lui en tant que marocain vivant en Espagne et moi en tant qu’insulaire, nous avons donc ce même syndrome à des degrés différents. Les expositions sont souvent le fruit de rencontres, j’ai découvert lors d’un échange avec lui que Mohammed V, lancien roi du Maroc avait été envoyé en exil en Corse pas loin du centre dart. La Corse est depuis l’antiquité une terre d’exil politique mais aussi d’accueil. Serbes, Juifs, Roumains et maintenant Ukrainiens ont quitté leurs pays alors en conflit pour venir demander l’asile. L’œuvre « A travers la lune », revient d’ailleurs sur une anecdote autour du mythe de Mohammed V, d’une certaine manière nous sommes parvenus avec l’artiste à lier l’histoire du Maroc et de la Corse.
Si vous devriez choisir une seule des oeuvres exposées pour expliquer lexposition, laquelle serait-elle et pourquoi ?
Cest une question difficile. Je pense la vidéo « The Beautiful Language », car elle reprend de nombreux motifs au sein de la pratique artistique de lartiste. Cette œuvre qui avait été récompensée par le prix de la Biennale du Caire en 2011, montre cet enfant qui subit différents traitements afin de léduquer. Le montage « cut » de la vidéo, le choix du noir et blanc, lensemble participe à créer une sensation dinquiétude et traduit un état dangoisse. Cette image troublante est suivie par la déclaration : « Ma langue est une hémorragie, je saigne chaque fois que je parle ». Ces paroles violentes donnent le ton pour une vidéo qui provoque des questions sur la nature même du langage comme outil à la fois de communication et de répression. Cela souligne également le rôle du langage dans la formation de la société et des peuples. Et l’on sait le rôle fondamental d’une langue pour la transmission d’une culture.