Déjà influencée par le changement climatique depuis quelques années, le patrimoine culturel ivoirien doit être protégé. D’abord, parce que la Côte d’Ivoire regorge de nombreux monuments, sites et beaucoup d’autres atouts dont l’ONG Min-dja estime les valeurs.
Œuvrer dans le sens de la protection et de la valorisation du patrimoine culturel en Côte d’Ivoire, c’est la mission de l’ONG Min-dja. Le 18 avril dernier, Journée Internationale des Monuments et des Sites, initiée par le Conseil International des monuments et des sites (ICOMOS), avec pour thème « Patrimoine et Climat », a été une occasion pour l’organisation non-gouvernementale d’attirer l’attention des gouvernants, des membres de la société civile et des populations sur les effets des changements climatiques sur le patrimoine et montrer comment en réduire les effets néfastes par la préservation, selon la Directrice Exécutive (DE) de ladite organisation, Dr Gninin Aicha Touré.
Propos recueillis par Serge Onekekou
Les changements climatiques ont eu de nombreux impacts sur l’environnement, l’agriculture, la santé, etc. en Côte d’Ivoire, pouvez-vous nous dire comment cela a empiété le patrimoine culturel ?
Définissons d’abord le patrimoine culturel. Le patrimoine culturel se définit comme l’ensemble des biens, matériels ou immatériels, ayant une importance artistique et/ou historique et coutumière certaine, et qui appartiennent soit à une entité privée, soit à une entité publique. À partir de cette définition, je prendrai un exemple que nous allons examiner ensemble. Regardez ce qui se passe à Lahou-Kpanda dans le sud de la Côte d’Ivoire, nous avons une population, les Avikam, bien installée depuis des centaines d’années, et qui cohabite avec la mer. Ils ont tout sur place, leurs habitations, leurs champs, là où ils enterrent leurs morts. Les Akan sont très attachés à leurs morts. Du jour au lendemain, ils sont envahis par la mer qui détruit tout : habitations, lieux de cultes, cimetière, etc. Ils sont obligés de changer de localité. Ce qui entraine la perte de leur héritage culturel. Ils n’ont aucun lien d’attachement avec nouveau site, et de l’autre côté, ils ont abandonné maisons, lieux de culte, cimetière aujourd’hui sous l’eau. Que leur reste-il comme héritage ? Qu’est-ce que ces populations ont à léguer à leurs enfants ? Ces enfants connaitront-ils les valeurs culturelles auxquelles ils sont liés ? Voilà un peu un exemple des conséquences du changement climatique sur le patrimoine culturel.
Selon l’UNESCO, l’élévation du niveau de la mer et les inondations dues au changement climatique pourraient avoir des effets dévastateurs sur les bâtiments et le tissu social des villes et peuplements historiques. Et c’est ce qui arrive aux villes et aux villages de la côte ivoirienne, comme Lahou-Kpanda.
Même l’impact des changements climatiques sur l’agriculture est une sorte de conséquences sur le patrimoine culturel. Les groupes socio-culturels ont des habitudes alimentaires qui leur sont propres. Ils disposent de savoir-faire locaux qu’ils appliquent à l’agriculture. Lorsqu’au cours d’une année, il n’y a qu’une seule pluie et que les cultures ne sont pas rentables, que vont consommer les populations qui n’ont pas l’habitude de manger d’autres aliments ?
Comment peuvent-elles conserver les connaissances liées à leur réalité si elles sont appelées à se déplacer vers d’autres zones aux caractéristiques pédologiques différentes par exemple ?
En considérant les efforts de l’Etat de Côte d’Ivoire à travers ses institutions dans la préservation du patrimoine culturel, que pensez-vous qui peut-être encore fait?
Beaucoup de choses ont été faites. Le classement de trois (3) sites naturels au patrimoine mondiale de l’Unesco, à savoir le Parc national de Taï en 1982, le Parc national de la Comoé en 1983 et la Réserve naturelle intégrale du Mont Nimba en 1981 est déjà un grand pas. La préservation de ces sites et la forêt du Banco qui se trouve au cœur d’Abidjan contribuent à la stabilité climatique du pays en stockant des quantités importantes de gaz à effet de serre dont essentiellement le gaz carbonique.

Malheureusement, il reste encore beaucoup à faire. Ces sites sont pillés par les orpailleurs et les braconniers. Ce sont même des lieux de fabrication de charbon et de bois-énergie. Il faut nécessairement sensibiliser les populations sur l’importance de la préservation de ces forêts pour le bien de tous. Aussi, l’Etat doit-il prendre des dispositions pour empêcher l’infiltration de ces forêts.
En ce qui concerne les monuments, il est important de préserver ceux qui sont encore en état et de matérialiser de nouveaux pour la mémoire des générations futures. Il est important que chaque groupe sociolinguistique fasse une représentation de sa culture.
Il est capital que l’Etat prenne des dispositions fortes pour protéger les sites et les installations culturelles des aléas climatiques qui leur sont préjudiciables.
Enfin, il serait louable que les peuples, avec l’appui de l’Etat, développent des liens forts avec leur héritage culturel national. Cela contribuerait à mieux le préserver.
Vous parlez de préservation du patrimoine culturel comme une solution, comment pensez-vous que cela pourrait atténuer les changements climatiques ?
Vous savez, les changements climatiques constituent actuellement le défi le plus important de notre époque. En effet, depuis le début du 20ème siècle, il est devenu évident que le changement climatique est dû non seulement à des variations naturelles, à des influences extérieures mais aussi à l’intervention de l’homme sur son environnement à travers, l’utilisation des combustibles fossiles (tels que le charbon, le pétrole et le gaz) qui produisent des gaz à effet de serre qui piègent la chaleur solaire engendrant un dérèglement du climat. Ainsi, les mécanismes endogènes de protection comme les interdits aident à la protection des sites. Ainsi en associant culture et biodiversité par exemple, on peut sensiblement influencer les impacts du phénomène qu’est le changement climatique. Cela peut se faire en préservant les sites naturels sacrés comme les bois sacrés, cela aide à la préservation de la biodiversité. Nous savons tous que la forêt joue un rôle important dans la pluviométrie. L’absence de forêt est synonyme d’avancée du désert, de l’aridité des sols et donc de la famine auprès des populations locales qui vivent essentiellement de l’agriculture. L’absence des forêts peut aussi être la cause d’autres aléas liés à des événement naturels comme les inondations et les glissements de terrain. Dans le nord de notre pays, plus précisément en pays senoufo, vous verrez de petites forêts çà et là dans les villages. Ce sont des bois sacrés, des forêts primaires qui permettent aux Senoufo de perpétuer leurs pratiques culturelles. Au-delà de la culture qui est valorisée, ces forêts permettent à cette zone dite zone savanicole d’avoir encore une biodiversité végétale qui contribue aussi de façon importante au bien-être humain de ces peuples. Nous savons tous que s’il n’y avait pas d’interdits autour de ces forêts, elles seraient déjà détruites.
Voici un peu comment le l’héritage culturel peut contribuer à l’atténuation des changements climatiques et par ricochet à la préservation du patrimoine culturel.
L’ONG Min-dja a certainement un intérêt à participer à la journée internationale des monuments et des sites…
Les monuments sont des symboles qui sont comme des concentrations matérielles de la mémoire. Ils permettent de garder des souvenirs. Les conserver, les garder amène les plus jeunes à comprendre l’histoire. Les monuments parlent, ils gardent des événements…
Quant aux sites, ce sont des lieux sacrés ou historiques qui sont parfois rattachés à un groupe sociolinguistique, c’est à dire liés à la vie culturelle des populations ou tout simplement à l’histoire d’un peuple. Leur destruction engendrera une grande perte de valeurs culturelles et religieuses dans des milieux où l’oralité a le pas sur les écrits. C’est pour cela qu’il est important de les protéger, de la valoriser.
L’instauration de cette journée vient à point nommé. Elle permet à l’ONG Min-dja de faire parler des sites et monuments de la Côte d’Ivoire. Généralement nous les voyons sans connaître leur importance. La célébration de la journée qui est un moment d’information et de sensibilisation aide à les valoriser. Cette célébration confirme à Min-Dja que nous sommes sur la bonne voie.
Il est important de matérialiser le 18 avril pour montrer l’importance des sites et monuments dans la vie sociale, culturelle, économique des populations. Elle a été adoptée par l’UNESCO sous l’initiative de l’ICOMOS qui à initié cette journée en 1982.
Vous avez déjà organisé ou participé à quelques activités allant dans le sens de la valorisation du patrimoine culturel, peut-on en savoir quelques-unes ?
Depuis sa création, Min-dja essaie tant bien que mal de mener quelques actions.
Étant membre du Réseau mondial des organisations de la Société Civile (GNDR), elle participe aux processus de Résilience aux changements climatiques à travers des ateliers, des fora, et des projets de sensibilisation.
Aussi, en partenariat avec le Djaka Festival, fait-elle la promotion de la culture Dida et Godié.
Au-delà, Min-dja travaille à la sensibilisation sur la protection et la valorisation du patrimoine culturel.Elle contribue au renforcement de capacité de ses membres à travers des formations sur le leadership et autre.
Votre mot de fin.
Je vous remercie pour cette tribune que vous nous avez offerte pour nous exprimer.
Il est important de rappeler que le changement climatique constitue une menace pour notre avenir, mais également pour notre patrimoine naturel et culturel. Nous, membres de Min-dja, disons que c’est à tous, membres de la société civile, scientifiques, chercheurs, gouvernants et populations de mettre fin à cela.
Comme le disait Marcus Garvey « Le peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines ».
Repère
Passionnée des histoires culturelles des peuples, Gninin Aïcha Touré a fait le bon choix. Elle étudie l’Anthropologie à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, Côte d’Ivoire puis, se spécialise en archéologie où elle obtient successivement Licence, Master et Doctorat. Depuis 2020, Dr Gninin Aïcha Touré est Directrice exécutive de l’ONG Min-dja, une organisation non-gouvernementale fondée par un groupe de Docteurs et étudiants d’archéologues ivoiriens dont le but est d’œuvrer pour la connaissance de la protection, de la valorisation et de la diffusion du patrimoine culturel et naturel.
Ouvrages
Touré Gninin Aïcha, 2020: Production céramique de l’espace Tioroniaradougou-Korhogo-Blahoura (Département de Korhogo) : traditions, techniques et mutations, Éditions Universitaires Européennes, Paris, 117 pages.