Etalon d’or de Yennenga de la 27e édition du Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco), ‘’La femme du fossoyeur’’ de Khadar Ayderus Ahmed (Somalie) arrive à la compétition officielle des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) avec une avance considérable. Quelle est cette réalisation qui a obtenu le quitus du jury présidé par Abderrahmane Sissako au Burkina Faso?
On ne sort pas de la salle de cinéma comme on y est entré après avoir vu ‘’La femme du fossoyeur’’. Le long métrage fiction (drame) de 82 minutes est renversant. On y sort les cheveux hirsutes et le cœur serré. Guled (Omar Abdi) survivra-t-il à ses blessures pour voir Nasra (Yasmin Warsame) dont l’opération du rein a été un succès ? L’ouverture que fait Ahmed Khadar laisse libre court à toutes les hypothèses. Et le film continue à travers les échanges et les pensées…
Sorti en 2020, le premier long métrage de l’auteur-réalisateur, après plusieurs courts-métrages, est une symphonie à l’amour entravée par la maladie, la pauvreté, la rugosité de la vie. Ployant sous le poids de la difficulté quotidienne, Guled fossoyeur qui ne trouve plus de morts à enterrer, doit faire face à la maladie de son épouse Nasra qui doit être opérée du rein.
En fait, Guled et Nasra ont décidé de vivre leur amour loin des siens. Nasra était promise à un autre et elle a préféré suivre Guled qui lui a déclaré son amour. Dans les faubourgs de Djibouti où ils se sont installés, Guled doit s’occuper de sa famille.
Le réalisateur crée une synergie entre le décor naturel et la complication qui y est liée : creuser dans la pierre pour y inhumer des morts. Le chant des fossoyeurs tente de dissiper la peine. Que nenni.
Le réalisateur s’attarde sur l’activité des croque-morts. L’attente de corbillard transportant les personnes décédées devant l’hôpital et la course pour être le premier à avoir le défunt est déroutante.
Dans cette situation difficile Khadar fait surgir Nasra. Cette belle femme à la taille fine de mannequin, contraste avec les images précédentes. Elle inspire le bonheur, la joie, la beauté. Malheureusement, la révélation de sa maladie de et ses tortillements de douleurs accentuent le spleen dans lequel le réalisateur plonge le cinéphile. Nasra malade et leur fils Mahad qui s’absente de plus en plus des cours, Guled n’a qu’une chose à faire : trouver de l’argent pour soigner son épouse. Cette quête fait entrer Guled dans une sorte de folie qui l’emporte…
‘’La femme du fossoyeur’’ a cette force d’être mélancolique de par l’histoire, mais la transcription cinématographique est plus saisissante. Chaque plan, scène et séquence est montré comme une photographie ou est tableau d’art. Ahmed Kadar part d’une généralité (plan d’ensemble) pour arriver à la particularité (le sujet). On part du cimetière pour arriver aux fossoyeurs, de la chambre à Nasra, de la terre asséchée à Guled assoiffé. Lorsque de bonnes âmes lui donnent à boire, la scène est sublimée par un couché du soleil qui ne laisse transparaître que des ombres qui dominent l’écran.
L’intelligence du réalisateur, qui est aussi le scénariste, arrache de temps à autre un sourire au cinéphile. Il parvient à insérer des scènes singulières qui dédramatisent les situations difficiles que traversent les personnages. Lorsque Guled a les sandales usées et qu’il demande une chaussure à une dame, il y a un fondu au noir, et on le voit avec un talon de femme.
‘’La femme du fossoyeur’’ est une belle illustration de la force de l’amour. Un amour vécu contre vent et marée mais qui ne résistera peut-être pas aux péripéties de la vie. Dans sa poétique et son symbolisme, le réalisateur somalien fait que Nasra trouve une astuce pour faire inviter le couple à un mariage. Pendant qu’elle danse avec Guled, elle s’écroule. Celui-ci inquiet, tente de la relever. Et elle lui demande de se mettre à genou et de continuer à danser avec elle. Comme quoi, debout ou à genou, nous devons être capable de vivre notre amour.
‘’La femme du fossoyeur’’ a son rythme : pas trop lent, pas rapide non plus. L’histoire est construite de façon ascendante et chaque partie (l’exposition, les nœuds dramatiques et le dénouement) est perçue comme une page d’un livre que l’on tourne à chaque fois. Guled qui part récupérer son héritage au village n’est plus celui qu’on ramène en ville. Et Nasra restée, n’est plus la malade qui agonisait.
Le film a son pesant d’or. Il a une narration simple au niveau du scénario mais une puissance au niveau du jeu des acteurs et de la poésie qui le sous-tend. Pour son premier long métrage, Ahmed Khadar a voulu marquer les esprits, et il l’a bien réussi. La preuve… : « Il faut voir ce film ».
Sanou A.