À 𝒍𝒂 𝒇𝒂𝒗𝒆𝒖𝒓 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒅𝒂𝒕𝒆 𝒄𝒐𝒎𝒎é𝒎𝒐𝒓𝒂𝒕𝒊𝒗𝒆 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒅𝒊𝒔𝒑𝒂𝒓𝒊𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅𝒆 𝑫𝑱 𝑨𝑹𝑨𝑭𝑨𝑻, 𝒋𝒆 𝒑𝒖𝒃𝒍𝒊𝒆 𝒄𝒆 𝒕𝒆𝒙𝒕𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋’𝒂𝒊 é𝒄𝒓𝒊𝒕 𝒆𝒏 2014 𝒂𝒖 𝒎𝒐𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒐ù 𝒍’𝒂𝒓𝒕𝒊𝒔𝒕𝒆 é𝒕𝒂𝒊𝒕 𝒆𝒏𝒄𝒐𝒓𝒆 𝒆𝒏 𝒗𝒊𝒆. 𝑱𝒆 𝒍’𝒂𝒊 𝒓𝒆𝒕𝒐𝒖𝒄𝒉é 𝒆𝒕 𝒓𝒆𝒑𝒖𝒃𝒍𝒊é 𝒆𝒏 2019 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒖𝒏 𝑺𝒑é𝒄𝒊𝒂𝒍 𝑭𝒓𝒂𝒕𝒆𝒓𝒏𝒊𝒕é 𝑴𝒂𝒕𝒊𝒏.
Macaire Etty, Ecrivain
La musique de DJ ARAFAT, je l’avoue, est aux antipodes de mes goûts musicaux. Et, ils sont nombreux les mélomanes qui lui refusent la noble étiquette « d’artiste musicien », trouvant, à tort ou à raison, que ses « rendus » musicaux ne sont, ni moins ni plus, qu’une pollution sonore voire une imposture artistique. Pourtant, ce jeune homme a été, à deux reprises, kora du meilleur artiste masculin. Pour pour tous ceux qui constituent sa “Chine”, il est un OVNI, un Cyborg, un Dangôrô, un 10. C’est une telle reconnaissance qui nous amène à interroger sa création.
𝑼𝑵 𝑨𝑹𝑻𝑰𝑺𝑻𝑬 𝑨𝑻𝒀𝑷𝑰𝑸𝑼𝑬
Les créations musicales de Dj Arafat sont caractérisées par une explosion sonore. La batterie enragée libère des notes musclées pendant que la voix enraillée de l’artiste accouplée aux gémissements assourdissants des instruments de musique accouche une musique apparemment cacophonique pour l’oreille « classique ». Le chant « arafatien » n’est pas une douce coulée de mots tissés avec harmonie. Il s’agit plutôt d’une crépitation verbeuse, d’un déferlement de cris dépêtrés avec rage. La violence des mots et la grossièreté du discours ne sont pas faites pour séduire les mélomanes épris de quiétude.La chorégraphie de Dj Arafat, par ailleurs, est remarquable par sa vitesse d’exécution. Les gestes sont saccadés et enchainés avec une véhémence à donner le tournis. La danse «arafatienne » se veut une succession de gestes difficiles et surréalistes. Ni Ziké ni Michaël Jackson ne peuvent bitumer dans son jardin.
En sus, le langage de Yorobo (nouchi rnb) se distingue par sa brutale vulgarité et sa déroutante grossièreté. Son message met en lumière un égo surdimensionné et un narcissisme troublant. Les clashes et les scandales qu’il raffole constituent une sorte de carburant qui lui permet de rebondir quand il le faut et même d’atteindre des sommets inattendus.Ce n’est pas tout : l’apparence de Yorobo constitue un choc inévitable. Son corps est un champ de tatouages furieux et ostentatoires. Sa tenue vestimentaire rompt avec les habitudes vestimentaires de l’espace tropical, avec un goût prononcé pour les flottes, les jeans, les colliers africains, les bagues baroques, les lunettes aux formes insolites, la couleur noire… Avec une tête de rebelle exhibant une coiffure d’apache ou des dreadlocks, le jeune musicien ivoirien achève de créer un choc d’ondes dans les regards.
𝑼𝑵 𝑨𝑹𝑻 𝑫𝑼 𝑹𝑬𝑭𝑼𝑺 𝑬𝑻 𝑫𝑬 𝑳𝑨 𝑹𝑬𝑽𝑶𝑳𝑻𝑬
Justement, le souci du double « kora » est de porter l’estocade aux codes sociaux et de rompre avec les conventions traditionnelles. Pour tout dire l’art d’Arafat est aux antipodes du classique, du déjà-vu. Yôrôbo n’est pas un partisan des sentiers lisses, il est un fendeur de brousse. Il vient comme une sorte de pavé dans la quiète marre de la musique ivoirienne et africaine.En réalité, absolument tout en cet artiste se veut révolte contre l’ordre social, moral et artistique. Le « coupé décalé » d’Arafat est « décalé » des sentiers reconnus, et surtout «coupé » des fondamentaux de la musique de départ créé par Douk Saga. Arafat apporte à la tradition coupée-décaleuse un son rock viril et saignant. La danse « kpangor » et le son « rage 2012 » arrachent le coupé-dacalé du « farot » pour le propulser à la cime d’un art du refus. Refus des frontières ; refus des règles tyranniques. Plus question de faire du BOUCAN, mais du VOLCAN. Il s’agit de briser les chaînes, toutes les chaînes.Instable dans ses relations, accroc des rivalités, des esclandres et des fracas, Arafat est tel un « mutant » en quête d’une nouvelle identité. Nous en voulons pour preuve cette accumulation de sobriquets déroutants : ” 𝑨𝒑𝒂𝒄𝒉𝒆 “, ” 𝒀𝒐𝒓𝒐𝒃𝒐 “, ” 𝑲𝒐𝒏é 𝒁𝒂𝒃𝒓𝒂 “, ” 𝑩𝒂𝒓𝒂𝒄𝒖𝒅𝒂”, “𝑪𝒐𝒎𝒎𝒂𝒏𝒅𝒂𝒏𝒕 𝑲ô𝒓ô “, ” 𝒍𝒆 𝒕𝒖𝒆𝒖𝒓 𝒅𝒆 𝒕𝒂𝒖𝒓𝒆𝒂𝒖𝒙”, “𝒄𝒐𝒎𝒎𝒂𝒏𝒅𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒆𝒖𝒙 𝒇𝒐𝒊𝒔 𝒌𝒐𝒓𝒂𝒎𝒂𝒏 », « 𝑺𝒂𝒐 𝑻𝒂𝒐 𝒍𝒆 𝒅𝒊𝒄𝒕𝒂𝒕𝒆𝒖𝒓”, ” 𝑩𝒆𝒆𝒓𝒖𝒔 𝑺𝒂𝒎𝒂 ” “𝑫𝒂ï𝒔𝒄𝒉𝒊𝒌𝒂𝒏 ” ” 𝒍𝒆 𝑷𝒓é𝒔𝒊𝒅𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑪𝒉𝒊𝒏𝒆
“𝑳𝑬𝑺 𝑶𝑹𝑰𝑮𝑰𝑵𝑬𝑺 𝑫𝑬 𝑪𝑬 « 𝑫𝑬𝑪𝑨𝑳𝑨𝑮𝑬 »
Pour nous, la fureur de la musique de Dj Arafat repose sur deux raisons.PREMIÈREMENT : En sortant des canons traditionnels de façon déchaînée, Arafat crée un art qui plait à la rue, à la jeunesse, qui désaxée et désorientée par un avenir incertain, est en quête de repères dans un univers tourmenté et « renversé ». Arafat incarne en quelque sorte leur soif de chamboulement en vue d’un nouvel ordre. Avec lui, ils ont retrouvé un messie capable de les conduire au bout de leurs colères. La musique arafatienne en fin de compte est une sublimation de ses irritations et fureurs qui ne sont rien d’autres que celles de tous les jeunes qui se reconnaissent en lui.SECONDEMENT : Fils d’un couple de musicien (Wompy et Tina Glamour), on peut dire que la musique coule dans ses veines. Néanmoins, rejeton d’une génitrice controversée, peu commode, friande de scènes osées voire obscènes, Arafat depuis son jeune âge est marqué par ce « péché », cette indécence amplifiée par une presse avide de sensations.La violence de son art n’est qu’une tentative désespérée de transcender cette « honte », un exutoire pour se délester de ses « démons ». La rage contenue dans la voix de Dj Arafat et cette surdose de sons troublants constituent, à notre sens, une forme de de rébellion contre l’autorité parentale et par-delà l’autorité gérontologique.
𝑷𝑶𝑼𝑹 𝑭𝑰𝑵𝑰𝑹
Rebelle, il l’est. Mais l’art, fondamentalement, n’est-il pas une sorte de rébellion ? Le désordre apparent qui coule dans sa création a quelque chose de sublime. Car c’est justement cette négation du « déjà entendu » qui lui donne toute sa dimension artistique. Transgresseur devant l’Éternel, Dj Arafat nous rappelle que l’art et même tout art est une forme du désordre, un « assaut contre les frontières » selon la magnifique formule de F. Kafka.Deux fois lauréat (au moment où j’écrivais ce texte) du Kora du meilleur artiste masculin de l’Afrique de l’Ouest, ambassadeur du coupé-décalé dans le monde, Arafat a déjà marqué sa génération. Il continuera certainement à plaire aux plus jeunes et à moins déplaire aux fondamentalistes qui ont vite fait de le clouer au pilori. La mort dans laquelle il est entré vivant vient de le propulser dans la sphère de l’immortalité.
Salut l’Artiste !
𝗠𝗮𝗰𝗮𝗶𝗿𝗲 𝗘𝗧𝗧𝗬