L’Association des écrivains de Côte d’Ivoire (AECI) a organisé sa rentrée littéraire 2021 le samedi 24 avril à Cocody. Le thème retenu est : « LA RÉSILIENCE LITTÉRAIRE AU DÉFI DE LA CRISE SANITAIRE COVID-19. A cet effet, Jean-Francis Ekoungoun, Maître de Conférences Cames, Comparatiste, généticien et historien de la littéraire a animé une conférence. Farafina Culture vous propose l’intégralité de son intervention.
INTRODUCTION
Les guerres, l’individualisme, le racisme, le terrorisme et bien d’autres fléaux des temps modernes menacent l’humanité. Comme cela ne suffisait pas la pandémie à Covid-19 fragilise aujourd’hui nos sociétés et transforme l’économie mondiale. Cette énième crise sanitaire vient nous rappeler le caractère évanescent de l’existence humaine où rien n’est acquis. Il en découle des transformations de nos modes vies qui impactent, entre autres domaines, la littérature. La littérature entendue ici dans ses pratiques et activités afférentes.
Les conséquences de la crise sanitaire sur le bon fonctionnement de la filière livre sont connues. Aux premières heures de la pandémie marquée par le « grand confinement », la littérature, à l’instar d’autres secteurs d’activités, a été presque frappée de prohibition, les lieux d’apprentissage comme les écoles primaires, les lycées et collèges, les instituts de recherche, les bibliothèques, les maisons d’édition, les librairies ont été fermés. Les livres ne peuvent plus aisément circuler d’un lecteur à un autre, d’un pays à un autre. L’âme de la littérature se trouvait ainsi confinée. Or, la littérature est de l’ordre du relationnel, du réseautage et des échanges. Finalement, la batterie de mesures préventives et restrictives ont mis les activités littéraires en zone rouge et plonger la littérature elle-même dans une impasse sans précédent.
Dans un monde hyper-libéral hanté par le culte de la performante, les déclinistes de la littérature n’hésitent pas à la citer à l’article de la mort. Pour eux, la littérature accusée d’être une « science molle », serait toujours perchée dans les limbes. Elle n’apporterait pas des réponses concrètes aux tourments de l’humanité contrairement à ce qu’on pourrait qualifier de sciences exactes ou de sciences dures.
De tout temps, la littérature a été sommée de s’expliquer, de justifier sa raison d’être. Appeler à comparaitre devant le tribunal de l’histoire, elle est obligée de produire elle-même le « bâton » soit pour se faire lyncher sur la place publique soit pour se faire plébisciter à huis-clos. Mais, la littérature parvient toujours à ressortir plus forte que jamais de son procès à charge et à décharge. Elle surmonte toutes les adversités forgées contre elle. A chacune de ses « crises », elle est optimiste. Elle est sereine. La littérature ne perd pas son flegme justement parce qu’elle a une haute estime de son rôle dans la société. Elle a toujours fait preuve d’une extraordinaire résilience. Elle sait donc se positionner par rapport aux différentes crises et pandémies qui ont marqué l’histoire de l’humanité, ou qui continuent d’éveiller notre monde à son fragile destin.
A travers cette réflexion, je m’interroge sur le concept « résilience » en littérature, de quoi retourne l’expression « résilience littéraire », par quel processus la résilience s’opère-t-elle en littérature, comment le « littéraire résilient » peut-il concrètement aider à relever les défis liés à la crise sanitaire actuelle ?Au-delà des liens étroits entre la littérature et la médecine (Covid-19) mis en lumière par l’expression « résilience littéraire », l’enjeu de cette communication est de démontrer les possibilités de la littérature à relier les savoirs et à les décloisonner. J’emprunte ici l’expression de l’épistémologue français Edgar Morin qui écrivait que « Relier les connaissances est le véritable « défi du XXIè siècle ».J’organiserai mon intervention en trois articulations :- Je démontrerai d’abord que la « littérature » et la « résilience » sont consubstantiellement liées.- Je m’intéresserai ensuite à quelques éléments de « covidisation » comme formes d’expression langagières de la résilience en la littérature.- J’analyserai enfin les facteurs d’abréaction liés au processus de la résilience littéraire.
I. LITTÉRATURE ET RÉSILIENCE : LES DEUX SŒURS JUMELLES D’UNE MÊME FAMILLE
La représentation de la crise par le phénomène littéraire dévoile des stratégies qui permettent de comprendre le caractère transversal et pluridisciplinaire de la notion de résilience. Qu’est-ce que la résilience ? La résilience a une identité paradigmatique multiple. On la retrouve en physique, en psychologie, en psychiatrie, en économie, en écologie et en psychanalyse.
A l’origine, la résilience, provient de la science physique. « La résilience physique mesure la capacité d’un objet à retrouver son état initial après un choc ou une pression continue » (l’exemple de la mousse compressée, un ressort pressé, etc.).Transféré dans les sciences sociales, le concept de résilience subit une inflation définitionnelle. En psychologie, Boris Cyrulink la définit comme « la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité ». Dans le domaine de l’écologie, la résilience écologique est la capacité d’un écosystème, d’un habitat, d’une population ou d’une espèce à retrouver un fonctionnement et un développement normal après avoir subi une perturbation importante. En économie, la résilience d’une économie ou d’une zone économique est sa capacité à surmonter rapidement des chocs et des perturbations économiques. De ce fait, aussi bien en écologie qu’en économie, la résilience est un concept pour la gestion des risques.
Dans son essence psychanalytique, la résilience consiste à prendre acte d’un traumatisme et à ne pas le nier. Elle conduit à se relever et à continuer à vivre en dépit de l’adversité. Le sujet traumatisé qui fait preuve de résilience ne se soustrait pas psychologiquement de l’évènement qui chamboule son existence, de sorte à s’enfoncer et à sombrer dans une tristesse ou une dépression. Pour expurger et libérer les toxines de la psyché et du corps physique, la personne résiliente s’apaise et canalise ses émotions fortes parfois par l’entremise de l’écriture, de la peinture, de la musique, du sport extrême et de la spiritualité. L’homme résilient ne minore pas non plus la situation en cherchant à passer à autre chose. Il affronte plutôt sa peine avec optimisme, confiance et ressort plus fort de ses expériences
.A partir de ces jalons définitionnels, comment comprendre la résilience littéraire ? La résilience littéraire est la faculté intrinsèque de la littérature à métaboliser (transformer) un traumatisme, une douleur ou une crise. Dans un régime de désordre ou de chaos, la résilience littéraire permet de développer des capacités ou des aptitudes pour instaurer un régime d’ordre, d’apaisement et de survie. Les processus de résilience littéraire s’organisent autour d’un certain nombre de pratique.
Le 1er décembre 2019, apparaissait, dans la province de Hubei en Chine centrale, le patient zéro de la maladie à coronavirus. Ensuite, le 13 janvier, un premier cas est diagnostiqué hors de la Chine. Le virus se répandra finalement à travers le monde. Le 11 mars 2020, la Covid-19 est déclarée pandémie mondiale par l’OMS. Dès lors, l’Organisation mondiale de la santé invitera les populations à développer des mesures de résistance à la pandémie. Les scientifiques, notamment les médecins et les laboratoires, sont largement mis à rude contribution pour planifier la riposte sanitaire.
Mais, conscient de l’évolution du virus, ses mutations, vu le cortège de morts qui s’égrènent au fil des mois sans qu’un vaccin efficace ne soit trouvé, les Etats et les gouvernements sensibilisent leurs populations à faire preuve de résilience en réapprenant à vivre avec le virus.
La littérature, en ses diverses déclinaisons et pratiques, ne pouvait rester en marge de cet « effort de guerre » contre la Covid-19. Cela ne pouvait d’ailleurs en être autrement puisque la littérature a toujours été au cœur des crises et des pandémies mondiales. En effet, la littérature s’est toujours intéressée aux phénomènes traumatiques qui ont mis en en crise l’humanité. Dans l’histoire littéraire, on retrouve des exemples de romanciers qui ont produit une littérature sanitaire lorsque le monde a été frappé par des fléaux comme la peste, le choléra et la grippe. On peut citer Albert Camus (La peste, 1947), Gabriel Garcia Marquez, (L’Amour au temps du Choléra, 1985), José Saramago (L’Aveuglement, 1995), Jean Marie-Le Clézio (La Quarantaine 1997), Franck Thilliez (Pandemia, 2020).Il y a particulièrement deux romans dont la proximité avec la pandémie actuelle est assez frappante. D’abord, Les Yeux des ténèbres de l’écrivain américain Dean Koontz, paru en 1981 puis réédité en 1989 et 2008. Au fil de ce récit, en effet, le lecteur apprend qu’une arme bactériologique (Wuhan-400) de type viral causant une sévère pneumonie a été fabriquée dans un laboratoire chinois dans la banlieue de la ville de Wu-Han. Créée à l’origine pour éliminer des dissidents, elle va faire peser une véritable menace sur les habitants de la planète. Son créateur chinois va ensuite collaborer avec les services secrets américains afin d’élaborer un vaccin.
En 2016, le romancier sud-africain Deon Meyer, écrit également un roman intitulé L’année du lion. Cette fiction met en scène une situation de science-fiction post-apocalyptique. Dans son roman, l’humanité est contaminée par un virus à 95%. Ce virus venant d’Afrique est appelé « viruscorona » (c’est la fusion d’un virus humain et un virus de chauve-souris). Mettant en fiction, déjà en 2016 ; une crise sanitaire à « viruscorona », Deon Meyer a peut-être subodoré la crise qui allait surgir en 2019. Ce roman est également considéré comme une préfiguration de la pandémie actuelle. Sur la Covid-19 l’écrivain libanais, Alexandre Najjar a publié un roman, en mai 2020, intitulé La couronne du diable. Cette fiction a obtenu le Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française.
A travers ces illustrations, nous voyons bien que la littérature, de par sa fonction résiliente, a toujours été aux aguets, se faisant parfois lanceuse d’alerte pour prédire et prévenir certaines pandémies.
La revue de la littérature pandémique témoigne d’une longue pratique résiliente des hommes de lettres et de la littérature elle-même. Il s’établit, dès lors, une filiation interdisciplinaire entre la littérature et la médecine. Cette relation permet aux écrivains et aux médecins d’utiliser les mêmes mots soit pour penser/réfléchir/ (pour les écrivains) soit pour panser/soigner (pour les médecins) les maux de la pandémie. C’est à juste titre d’ailleurs qu’Edwige C. Fusaro affirme que « La médecine est sans conteste l’enfant chérie des interactions entre sciences et littérature ». C’est au nom de ce dialogue entre la littérature et la médecine que des médecins comme Freud et Fanon ont pu écrire leurs expériences de thérapeutes quand des écrivains comme Proust et Leslie Marmon Silko ont ouvert leurs créations littéraires et artistiques aux thématiques liées à la maladie et à la santé.
La résilience littéraire, nous l’avons définie, c’est l’aptitude du littéraire à transformer le trauma au moyen de la littérature. Cette transformation s’opère également grâce à un déploiement langagier.
II- QUAND LA FICTION S’HABILLE DES MOTS DE LA CRISE SANITAIRE : LA « COVIDISATION »
Dans la littérature endémique, les mots de l’écrivain s’habillent parfois des mots de la maladie. L’écrivain résilient inocule au virus la thérapie des mots. En transposant les mots et expressions de la pandémie en fiction, il démontre sa capacité à se représenter les mots de la crise sanitaire et, par ricochet, à dompter la maladie.Réapprendre à vivre en littérature, c’est apprendre à écrire désormais avec les mots et les maux de la Covid-19 : écrire pour aujourd’hui, témoigner pour demain et pour les siècles à venir.
Le mot étant un puissant exutoire et véhicule de la pensée, il rend désormais plausible la « covidisation de la langue » qui dénote d’un enrichissement stylistique. Autrement dit, les mots de la crise sanitaire s’imposent à l’écrivain et au lecteur d’aujourd’hui. Entres mots qui participent de cette « covidisation » de la langue, on citera : « Covid-19 », « confiner », « (dé)confinement », « (re)confinement », « mise en isolement », « bulle sanitaire », « mise en quarantaine », « mesures sanitaires », « mesures barrières », « cache-nez », « lavage des mains », « gants », « gel hydro-alcoolique », « masque N95 », « distanciation sociale », « Rester chez vous », « tousser dans le creux du coude », « toux, mal de gorge, fièvre », « pulvérisation », « décontamination », « test de dépistage », « vaccins », « banque de vaccin », « bétacoronavirus », « les Hommes en blouse », « en première ligne », « réanimation », « cas contaminé », « cas dépisté », « hospitalisation », « fermeture de frontières », « redémarrer l’économie », « restriction du voyage », « transmission », « unité en soin intensif » etc.
Ce sont en quelque sorte des mots ou expressions caractéristiques de la « covidisation de la langue d’écriture. Ce langage covidien est aujourd’hui à la portée de tout écrivain qui souhaiterait faire une fiction sur la pandémie. En investissant l’écriture littéraire du vocabulaire de la Covid-19, l’écrivain purge et expurge la peur des maux de la maladie elle-même. La covidisation familiarise alors le lecteur avec la pandémie. Le lecteur baignant quotidiennement dans cet univers langagier de la maladie réapprend ainsi à vivre avec elle.La littérature résiliente sublime le mal, chante la souffrance et parvient à mettre des mots et des expressions sur l’indicible, l’indescriptible et l’invincible Covid-19. La résilience littéraire est aussi un processus qui s’organise autour d’un certain nombre de pratiques.
III. LA RÉSILIENCE EN LITTÉRATURE COMME PROCESSUS D’ABRÉACTION
La littérature est résiliente par essence. Elle est en soi une cure et sa pratique curative est fondamentale en cette période sanitaire. La littérature construit son processus d’abréaction et de résilience d’abord à travers la lecture et l’écriture.
La lecture est une activité visant à prendre connaissance d’un contenu écrit dans un contexte de solitude, de « réclusion » extérieure et intérieure parfois loin du bruit et de la compagnie. Il en est de même de l’écriture qui est essentiellement une pratique solitaire dérobée aux contacts et à la rencontre. La pratique lecture-écriture se fait résiliente aux phénomènes pandémiques. La lecture-écriture a un pouvoir de résilience quant à sa capacité à modifier les comportements sociaux. Elle est aussi un puissant facteur de sensibilisation au respect des « mesures barrières » dans la lutte contre la propagation et l’augmentation des cas de Covid-19.Qui plus est, la pratique quotidienne de l’écriture-lecture a des bénéfices conséquents sur la santé. Une étude commise par Becca Levy de l’Université de Yale met en évidence les effets bénéfiques de la lecture sur la longévité. Au terme de son enquête, elle affirme que « les individus qui consacrent au minimum une demie heure par jour à la lecture ont un avantage vitale significatif par rapport à ceux qui ne lisent pas ». La pratique de la lecture régulière réduirait en effet les risques de maladies liées au stress et aux crises d’anxiété.
Grâce à la pratique de la lecture-écriture, la littérature contourne symboliquement l’imposition des « mesures barrières » concernant la mobilité ou le déplacement de personnes. La lecture-écriture est la première et la plus grande agence de voyage gratuite de tous les temps. Envers et contre le temps, l’écriture et la lecture nous font traverser les frontières et visiter des pays du Lointain. En l’espace de quelques pages d’un roman ou d’une pièce de théâtre, on se retrouve dans les Caraïbes, aux îles Bahamas, et en d’autres territoires inconnus. La littérature offre à volupté une sensation inouïe de se retrouver dehors. Et là où il est demandé, à chacun, de rester chez soi afin de ne pas contracter la Covid-19, les pratiques de lecture et d’écriture permettent de transgresser les restrictions de mobilité ou du voyage rigoureusement établies.
La littérature débloque le lecteur de ce grand univers carcéral du confinement, de l’isolement et de la mise en quarantaine. De ce fait, elle permet de se « déconfiner » par moments de cette crise pandémique. La littérature résiliente devient ainsi une bouffée d’oxygène qui permet à l’individu de se déconnecter de la dure réalité des morts en cascade de la Covid-19 que nous avons vu défiler sur les grandes chaines de télévision.
Hormis les pratiques d’écriture et de la lecture, la littérature est un grand rêve qui participe également aux stratégies de résilience.
Aux 19e et 20e siècles, le sommeil « paradoxal » littéraire allait bien au-delà de l’image de la petite mort. Le « rêve littéraire » était un voyage où le dormeur s’initiait aux règles d’un autre monde. Parmi les écrivains, grands rêveurs, des siècles passés, il y a Victor Hugo (Booz endormi dans La Légende des Siècles), Charles Baudelaire (Les Fleurs du mal, Rêve parisien, Paysage), Arthur Rimbaud (Les Ponts), Paul Verlaine (Mon rêve familier), Marcel Proust (Du Côté de chez Swann), Antonio Tabucchi (Rêves de rêves), Borges (Rêve de Coleridge). La littérature, à travers le rêve, devient l’espace d’affleurement de l’inconscient individuel et collectif.
Donc rêver en temps de crise sanitaire est le viatique, par excellence, de la résilience littéraire. Dans ce contexte de chaos et de désordre, la « littérature rêvée » est un rempart pour la survie. Elle instaure une paix intérieure et réconcilie l’homme à lui-même. Elle lui redonne les ressources nécessaires pour surmonter les affres de la maladie. La « littérature rêvée » est une forme de résilience par sa dimension cathartique.
En rêvant par la fiction romanesque, théâtrale et poétique, etc., le traumatisé entre dans un état de bonne inconscience. Il devient le produit d’une passivité qui neutralise la douleur du trauma mentale. Sa volonté, sa morale et son activité cognitive, le temps du rêve « livresque », est momentanément désactivée. La dimension cathartique du rêve par la littérature comme forme de résilience contourne et méprise la censure et les effets anxiogènes ou endogènes de la Covid-19. Par le « rêve livresque », le lecteur refoule sa peur du virus, se détache du sensible, du sensitif, du cognitif pour un monde habité qui dresse ses murs autour de la maladie loin de la propagande et du matraquage médiatique. Dans le rêve, la part d’irrationnel et de vérité donne à la résilience littéraire tout son charme. Cette résilience qui se déploie autour de la littérature rêvée permet à l’individu de réadapter son comportement par rapport à la crise sanitaire
.Par-delà le régime du réel dominé par le désordre ou le spleen organique créé par la crise sanitaire et tous ses déséquilibres, il y a le régime du rêve qui porte un idéal. Cet idéal, c’est l’espoir de voir la Covid-19 disparaître parce qu’elle a rencontré la littérature sur sa route. Et la littérature entend bien tenir ses positions, d’opératrice, de régulatrice de l’ordre social malgré la pandémie. C’est pourquoi, elle se déploie aujourd’hui dans tous ses états physiques mais de plus en plus dans ses états immatériels.
La Covid-19 donne lieu à la réinvention de l’activité littéraire. La littérature se virtualise ou se numérise de plus en plus. C’est le dernier facteur du processus de la résilience littéraire auquel je vais maintenant m’intéresser.
La Covid-19 redynamise et redonne un souffle, un élan nouveau à la littérature. Les mesures barrières qui empêchaient la circulation des livres physiques a favorisé l’engouement autour des livres numériques. Ils limitent drastiquement les contacts et favorise la distanciation sociale. De même, l’activité littéraire ne pouvant pas toujours rassembler du monde, la littérature en réseau ou sur la toile développe une forme de résilience littéraire interactive face à la crise sanitaire, contournant ainsi les restrictions physiques.
La twitte-littérature, les réseaux virtuels de la socialité littéraire, les plateformes collaboratives et les blogs littéraires en ligne permettent aujourd’hui à l’activité littéraire de rester vivace, vivifiante et résiliente. L’activité littéraire est aussi celle de l’édition en ligne. En effet, les éditions en réseau se sont développées et participent à élargir les domaines de la publication. Les librairies traditionnelles, quant à elles, se mettent en ligne pour échapper aux restrictions anti-covid-19. Aujourd’hui, elles vont à la rencontre du lecteur sans que celui-ci ne se déplace nécessairement en librairie pour un achat ou pour une commande de livre. La crise sanitaire actuelle reconfigure in fine les frontières de la « chose » littéraire.
En guise de conclusion
La littérature en général et la littérature ivoirienne en particulier ne seront jamais confinées. Témoin de la marche du monde et de ses crises pandémiques récurrentes, la littérature a toujours été au chevet de ce grand malade chronique (l’humanité). Dans la patience, elle lui a toujours tenu la main. Dans la passion, elle a toujours prescrit au monde, ses formes et ses traits propres de la résilience pour faire face à toutes les situations d’agression et d’angoisse.
Dans son rapport à l’altérité, la résilience littéraire rappelle à notre humanité la valeur de la vie humaine. La résilience littéraire, en effet, impose aux hommes de revoir les rapports sociaux. La pandémie a sanctionné nos modes de vie individualiste et égoïste. Si l’individu doit protéger autrui (donc se protéger lui-même) par le respect des mesures barrières, il doit comprendre que l’Autre est un être social dont il ne saurait se passer. Donc, l’enfer ce n’est plus l’Autre, mais l’important c’est l’Autre. La crise sanitaire invite ainsi à repenser la vie en société et la résilience littéraire est l’un des moyens pour parvenir à une vie harmonieuse même avec la maladie.
L’enjeu des processus de résilience littéraire dans le contexte de la crise sanitaire est donc de penser et de repenser l’humanité à la lumière de la littérature. Les processus de résilience littéraire que nous avons identifiés sont des facteurs de restauration et de restructuration de notre monde déchiré, désorganisé qui doit réapprendre à vivre malgré tout. Albert Camus disait que : « Le rôle de l’écrivain ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. » Les romanciers, dramaturges et poètes ivoiriens, regroupés au sein de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire (AECI), doivent remplir pleinement cette fonction camusienne de l’écrivain.
Aussi, voudrais-je féliciter chaleureusement le Président Etty Macaire et saluer l’initiative de son bureau qui a bien voulu placer la rentrée littéraire des écrivains de Côte d’Ivoire sous l’onction de la résilience littéraire.
Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, le gouvernement ivoirien, notamment le ministère de la culture n’a pas jusqu’ici dévoilé sa politique en faveur des acteurs du livre et des arts. Malgré cela, les acteurs de la filière sont restés résilients pour faire renaître leurs activités. C’est grâce à leur résilience qu’ils ont réappris à vivre pour eux-mêmes, pour leur passion (de l’écriture) et pour les autres.
L’écrivain résilient c’est aussi celui qui va s’engager de plus en plus auprès de ses concitoyens en organisant, bien sûr dans le respect des mesures barrières, des ateliers de formation sur l’écriture et les bienfaits de la lecture. A ce titre, je fais la proposition à l’AECI de lancer un concours d’écriture de nouvelles, de poésie ou de fiction ayant pour sujet la crise sanitaire. Le but de ce projet littéraire résilient sera d’amener le public à dédramatiser cette pandémie pour mieux vivre avec elle. Ce prix pourrait porter symboliquement le nom de la première victime de la Covid-19 en Côte d’Ivoire. Prix dont je pourrais être l’un des parrains. L’éditeur résilient, c’est celui qui va davantage mettre des ouvrages numériques au service de la communauté littéraire. Enfin, le libraire résilient va travailler à la dématérialisation progressive de ses stocks pour les rendre disponibles et accessibles sur les plateformes de vente en ligne.
Alors, pour soutenir ce « effort de guerre » des acteurs de la filière livre, l’Etat doit engager sans plus tarder, des mesures dites « résilientes » en :- créant un fonds de soutien à la filière livre. Car la Covid 19 a sinistré le secteur ;- aidant à la création de librairies et de bibliothèques de proximité. Avec le confinement, les fréquentations des espaces de lecture et d’achat de livre se sont réduites ;-finançant la création d’une plate-forme numérique pour le livre avec une option téléchargement en ligne gratuite- encourageant le développement du système de livraison de livres (bureaux, domiciles) ;- aidant à financer les frais d’expédition des livres via Jumia, Glovo et autres surtout pour les petits éditeurs et librairies dont la vente du livre scolaire constitue leurs maigres fortunes.
Je lance un appel à la nouvelle ministre de la Culture afin de rencontrer les acteurs de la filière livre et d’échanger avec eux sur les difficultés du secteur. Si les acteurs du livre en Côte d’Ivoire et le gouvernement ivoirien se mettent ensemble pour repenser la politique de la promotion du livre dans le contexte de la pandémie, cela va consolider davantage le processus de résilience littéraire qui se présenterait, dès lors, comme un puissant alicament et peut-être même plus efficace que tous ces vaccins nommés Pfizer-BioNtech, Moderna, AstraZeneca et que sais-je encore. Grâce à la résilience littéraire, le livre survivra et restera toujours une onction pour ceux qui aiment la littérature et un sacerdoce pour ceux qui la pratiquent.
Je vous remercie
Par Jean-Francis Ekoungoun
Maître de Conférences Cames
Comparatiste, généticien et historien de la littérature