«Muna Moto» («L’Enfant de l’autre»), film du réalisateur camerounais Jean-Pierre Dikongué Pipa ayant obtenu l’Etalon d’or de Yennenga au FESPACO 1976, était dans la section «Best Of» des 31e Journées Cinématographiques de Carthage 2020 (18-23 décembre). Une histoire d’amour contrariée par l’argent gagné sur mariage arrangé.
«Muna Moto» est le premier long métrage (1975) du réalisateur camerounais Jean-Pierre Dikongué Pipa. Cette fiction très proche de la réalité sociale d’une certaine partie du Camerounais, mais aussi d’autres pays à travers le monde, a obtenu, en 1976, l’Etalon d’or de Yennenga du FESPACO. Le film a connu une deuxième jeunesse suite à la campagne de restauration de certaines œuvres africaines. Il a été lors de la 31e édition des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC, 18-23 décembre), les samedi 19 et lundi 21 à la salle du Colisée, au centre-ville de Tunis, et le dimanche 20 à l’Agora dans la banlieue tunisoise.
Le film raconte une histoire d’amour entre Ngando et Ndomé qui tiennent à se marier mais l’argent va entrer en jeu et Ndomé sera obligée de faire un mariage arrangé. En effet, Ngando n’a pas les moyens de payer l’énorme dot quémandée par la famille de sa dulcinée. Cette dernière tombe enceinte du jeune homme. Une grossesse volontaire pour pouvoir épouser son amoureux. Enceinte ou pas, Ndomé ne sera pas à Ngando,car il n’a pas les moyens de payer la dot. Voilà que l’oncle maternel de Ngando entre en jeu. Epoux de trois femmes stériles, il veut à tout prix un enfant. Et ce prix sera de payer la dot aux parents de Ndomé. Il épouse cette dernière. Quelques années plus tard, Ngando décide d’enlever l’enfant qu’il a eu avec Ndomé, une fille, et il est condamné.
Rappelons que le film date de 1975, et son action se déroule dans la campagne camerounaise. Ce cadre est important pour comprendre toute la substance du long métrage. Dans les campagnes de nombre de pays africains subsahariens, mais aussi dans certaines parties du monde, les coutumes, les traditions ancestrales, et la décision des aînés (gardiens de ces coutumes et traditions) prévalent sur tout ; et peu importe la modernité, l’amour. C’est la raison qui prime sur le cœur. Elles servent d’uniques références aux villageois et sont la raison et la vérité. Ndango, étant orphelin, c’est son oncle maternel qui a autorité sur lui, d’autant plus que l’action se passe dans un système matrilinéaire.
Puis, quand l’oncle de Ndango paie la dot, il ne le fait pas au nom de son neveu mais en son propre non. Il est, donc, logique, pour tout le monde, que Ndomé devienne sienne. C’est comme acheter un produit sur un étal ou à la criée. Le plus offrant est l’acquéreur…
Les coutumes, les traditions ancestrales, et la décision des aînés prévalent sur tout mais pas sur l’argent. L’argent fait tourner les têtes. Et même si argent mal acquis ne profite jamais, il mène son monde à la baguette. L’oncle de Ndango va même jusqu’à donner plus que la dot demandée pour «acheter» Ndomé.
L’argent qui sape la moralité et la parole donnée, puisque les parents promettent la main de leur fille au jeune homme, avec organisation d’une cérémonie coutumière. A travers cela, Jean-Pierre Dikongué Pipa a posé un questionnement «sur la conviction et le sens de la parole donnée dans un contexte de l’oralité».
Bien que «Muna Moto» soit une référence des cinémas africains, il est à signaler qu’il a failli ne jamais voir le jour. Le réalisateur camerounais n’obtint aucun soutien dans son pays pour le tournage de son film. C’est auprès du ministère français de la Coopération, à l’époque seul pourvoyeur de fonds du cinéma africain, que Jean-Pierre Dikongué Pipa va trouver une aide auprès d’un Français passionné de cinéma, qui se débrouille pour trouver les financements nécessaires. On pourrait croire que le film est sorti d’affaires. Eh bien, non, puisque le long métrage est «inmontable», à cause d’une panne de magnétophone, «une grande partie du film était sans son et sans parole». Jean-Pierre Dikongué Pipa a, de nouveau, enregistré les dialogues, quelques mois plus tard. «Et tout a été resynchronisé à la table». Un mal pour un bien puisque «Muna Moto» est devenu une référence et qu’il a été sous-titré en… 25 langues !
Zouhour HARBAOUI