L’avertissement est sans équivoque : âmes sensibles s’abstenir ! Florent Attuoman, jeune chorégraphe ivoirien, est à la moitié de son spectacle solo, ce vendredi soir, à la Fabrique Culturelle d’Abidjan Deux-Plateaux. Il est un peu plus de 21heures. Les images projetées sur la scène donnent froid dans le dos. Un adulte est surpris en train de violer une fillette. Mais il y a pire. Un homme machette en main, donne de violents coups sur les jambes d’un autre assis par terre. Le sang coule. Le bourreau y va de plus belle. La victime crie de toute sa voix. Les images sont intenables.
L’artiste a fait mouche. Le beau public présent est tout calme. Chacun (re)cherche, en lui-même, les raisons d’une telle brutalité, d’une telle inhumanité. Silencieux, la colère susurre, hurle en chacun. Et pourtant !
Par SANOU AMADOU
Après huit mois de fermeture pour cause de COVID 19, la Fabrique Culturelle a fait son come-back, dans sa mission de diffusion des œuvres artistiques, avec la danse. ‘’It’s a problem’’, une création de Florent Attuoman a rouvert le bal.
Fruit de trois mois de confinement, « It’s a problem » est aussi le résultat de mille interrogations, de mille introspections, de mille méditations sur l’origine du mal chez l’homme. « A travers cette pièce, le chorégraphe s’interroge sur les différences sociales et leurs abus… Pourquoi l’homme nanti pense être supérieur à l’homme pauvre ? Pourquoi ridiculiser la religion de l’autre au profit de sa religion ? Pourquoi les hommes politiques (présidents) abusent de leur pouvoir ? Pourquoi en tant qu’homme nous jugeons nos semblables ? »…
Pour ainsi, le spectacle débute par un cours de développement personnel. « L’être le plus intelligent de l’univers », est invité à s’explorer soi-même, à s’écouter, et à agir au rythme de sa respiration, du battement de son cœur, de la circulation de son sang… Les mouvements du corps du danseur intensifient la séance. Dans une sorte d’hypnose (aussi bien pour le danseur que pour le public), l’on est projeté dans un univers paradisiaque, le jardin d’Eden.
Là, l’homme est à l’état naturel. Les muscles du corps de l’artiste se contractent, se dilatent. Les ondulations des mains sont gracieuses. Seuls les cris des animaux constituent la musique. Même à l’état originel, les mouvements sont saccadés, incomplets augurant une symphonie inachevée.
Le corps couleur ébène en sueur du danseur, luit sous la lumière des projecteurs. Le danseur multiplie les formes. La contemporanéité impose une certaine maestria. Comme dans la nature, rien n’est fait au hasard. Et le danseur invite chacun à éveiller en lui, cette « boule de feu », de lumière qui sommeille en lui. Mais très vite, cette vision du monde idéal et idéalisée s’estompe.
Le monde n’est pas fait sans fardeau. Les cages (selon sa vision) qui lui servent de décor, sont sursautés, portés, déplacés, replacés. Ces cages qu’il tente de « sémantiser et desémantiser » représentent les hommes, les religions, les femmes, les vieux, les enfants… la source de la haine et du mal.
Et arrive la mort. Ultime avenir. Lamentation éternelle. Vérité immuable. Et là, les efforts du danseur cloué au sol sont vains. Il est attiré par une force vers le sol. Le combat contre l’invisible est voué à l’échec. C’est le temps du regret, de la repentance. « Nous sommes nés tous égaux et la terre nous reprendra de la même manière », indique-t-il. Mais comment renaître ?
Le mal est profond
« Car, c’est un problème » ! Lorsque le créateur lance cette phrase (la traduction de It’s a problem en français), la sourate « L’ouverture (Fatiha) » du coran est distillée. La voix mélodieuse du lecteur s’empare du corps de Florent. Dans une sorte de possession, il se lance, fusionne avec les mélodies. Il continue son voyage surnaturel dansé sur la sourate ‘’An Nas’’ (Les hommes) et ‘’Al Falaq’’ (L’aube naissance).
Un cantique chrétien catholique prend le relais, et c’est le même entrain. Le danseur se laisse emporter, s’y perd même. Pour éviter toute ambiguïté, il dira: « Les religions ne sont pas le problème. Mais, c’est le fait de penser que sa religion est supérieure à celle de l’autre qui est le problème ».
En somme, la démarche de Florent réside dans cette vision : « Quelqu’un qui se croit supérieur à l’autre ». Que ce soit au plan social, dans les relations humaines, au plan religieux… Le problème ne survient que lorsqu’on pense que ce que fait l’autre n’est pas bon.
Le spectacle de 45 minutes est un condensé d’émotions, de questionnements, de révoltes, mais pas d’espoir. Le créateur est-il pessimiste ? NON. Mais, il amène chacun à faire une introspection.
Partisan du dialogue entre disciplines artistiques, il a fait cohabiter harmonieusement la vidéo, la musique et la danse. Techniquement, avec les moyens dont il disposait côté lumière, les choses étaient bien maitrisées. Pareil pour la musique. Mais la lumière Bleue des trois projecteurs (elle passait du bleu au rouge) ne servait qu’à éclairer simplement la scène. En gros, elle ne traduisait pas grand-chose. Elle éclairait des parties de la scène où rien ne se passait, alors qu’on devait se concentrer sur le danseur.
En somme, Florent Attuoman est un condensé d’engagements. Il ose avec « It’s a problem ». Touche à une multitude de sujets sans pour autant perdre en vue son leitmotiv. Ce n’est pas l’autre le problème. C’est le fait de croire qu’on n’est supérieur à lui qui constitue le vrai problème.
Fiche technique
Titre : It’s a problem
Chorégraphie et interprétation : Florent ATTUOMAN
Regard extérieur : Serge AMONDJI
Régis lumière : Catherine COULIBALY
Régis son : Dramane OUATTARA.
Durée : 45 Minutes
Note sur le chorégraphe : Florent Attuoman, artiste chorégraphe de la pièce » COUP DE SIFFLET » parue en 2017 Interprétée par Florent Attuoman et Diarrassouba Williams. Florent est également danseur interprète et directeur artistique de la compagnie SEL-BA enregistrée sous le numéro N 0652/PA du 19 mai 2020 dont le siège est à ABIDJAN COCODY INSAAC. Florent est diplômé d’un Master professionnel option danse et chorégraphie et d’un certificat d’aptitude pédagogique aux corps de Professeur de collège pour les arts du secondaire, professeur de d’État de Côte d’Ivoire.