Par Adama Samaké
« L’avenir de l’humanité repose sur la Renaissance de l’Afrique. »
Ramsès L. Boa-Thiémélé, Reconstituer le corps glorieux d’Osiris, p. 189.
Reconstituer le corps glorieux d’Osiris est une œuvre singulière dans la production du Professeur Ramsès L. Boa-Thiémélé. Elle a la particularité de s’égrener sous forme d’entretien mené sous le prisme des interrogations de Macaire Etty qui en est le co-auteur.
Quelle ne fut notre surprise de recevoir gracieusement un exemplaire dédicacé d’une personne que nous n’avons jamais rencontrée physiquement ! Nous avons, encore une fois, fait ce jour du 27 Avril 2020, l’expérience de la célèbre maxime d’Aimé Césaire qui disait : « Il y a des vies qui appellent à vivre ». En effet, Monsieur Macaire Etty nous a fait l’honneur de partager cette profession de foi : « Cher Prof., entre vos mains, nos questionnements en faveur du réveil et de l’envol de l’Afrique ».
Projet immense, certes. Mais nous ne fûmes nullement surpris que ce soit avec l’étroite collaboration du Professeur Boa-Thiémélé ; cet intellectuel chevronné dont parlait constamment notre mère spirituelle : Feue Prof. Ngbesso Hélène, son compagnon de lutte au SYNARES (Syndicat National de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) et à l’USD (Union des Socio-Démocrates dont le Secrétaire Général était l’illustre Bernard Zadi Zaourou).
Si cette œuvre répond au besoin de donner la parole au Maître afin qu’il livre sa pensée, sur certaines problématiques, « dans un pays où la parole publique est confisquée par les acteurs politiques » (p.12), selon les termes de Monsieur Etty, force est de constater que le Maître s’y est foncièrement investi. En attestent, la profondeur de la problématique : Comment « dessiner les grands sillons d’une Afrique libérée de tous les pièges et les serres qui la clouent au sol » ? (p.15) et la formulation du paratexte, précisément le titre : Reconstituer le corps glorieux d’Osiris qui orientent la lecture ; confirmant ainsi l’idée de Henri Mitterand qui assertait que le titre est un endroit stratégique de compréhension d’une œuvre, « un condensé à haute teneur idéologique » , un lieu marqué, une balise qui sollicite immédiatement le lecteur et l’aide à se repérer, et oriente son activité de décodage .
I – UN TITRE METAPHORIQUE
Claude Duchet et Léo H. Hoek sont des théoriciens qui ont essayé une étude linguistique, idéologique et sociologique des titres. En effet, Claude Duchet détermine trois sortes de sèmes pour caractériser les titres : les sèmes pathétique, romanesque et politico historique. Il distingue ensuite les titres qui mettent l’accent sur la dénotation, la connotation, les stéréotypes et les motifs (la motivation). Léo H. Hoek distingue deux sortes de titre : le titre subjectal qui désigne le sujet du texte et le titre objectal qui désigne le texte en tant qu’objet, c’est-à-dire appartenant à une classe donnée de récits. Pour mieux les analyser, il propose un découpage des monèmes qui constituent les titres. Il les nomme opérateurs. Aussi distingue-t-il des opérateurs qui désignent l’animé-humain, la temporalité, la spatialité, l’événement, l’inanimé.
L’œuvre de Boa-Thiémélé et Macaire Etty se veut une imbrication de sèmes : le sème pathétique est traduit dans la formulation par ‘‘le corps glorieux’’, le sème romanesque par le verbe ‘‘reconstituer’’ et le sème historico politique est présent dans la structure signifiante du titre par l’entremise du nominatif ‘‘Osiris’’qui évoque un personnage mythique. Ce dernier confère au titre une dimension connotative. L’analyse morpho-syntaxique du titre montre qu’il s’agit d’un syntagme verbal. Le verbe d’action ‘‘reconstituer’’ détermine la motivation telle que définie par Duchet. Mais la présence du nominatif mythique confère à cette motivation une valeur métaphorique. Le style et le discours idéologique de Boa-Thiémélé se dévoilent à partir d’une quête de la quintessence sémantique de cette métaphore.
Mais avant, retenons que la caractérisation de Léo H. Hoek permet de distinguer deux opérateurs qui désignent un animé humain : Osiris, et un événementiel : reconstituer le corps glorieux ; le qualificatif glorieux ayant ici une valeur particularisante. C’est le lieu de rappeler avec Henri Mitterand que « l’animé humain connote le discours humaniste, en ce sens que ce dont il va être question dans cette œuvre, c’est l’homme ou la femme – surtout la femme ; ce sont les problèmes éternels de la condition humaine, sur le mode du pathos classique : l’amertume, le devoir, la trahison, et leurs drames inévitables. L’article est au singulier, parce que le titre désigne, isole un personnage qui est le principal, le plus important entre tous, à la fois dans l’action, et comme représentant d’un type humain particulièrement digne d’attention » .
En outre, Boa-Thiémélé et Macaire Etty mêlent le subjectal à l’objectal dans la formulation du titre. Ils expriment un aspect du monde et un fragment du texte. C’est dire que le titre est construit sur une figure codée. Les auteurs jouent ainsi sur la fonction pragmatique du titre. Ils suscitent la curiosité, amplifient l’intérêt et imposent une nouvelle grille de lecture qui permet de mieux appréhender la sémantique de la métaphore établie par l’usage du nominatif mythique dans la formulation du titre. En effet, il faut une lecture au second degré pour déceler le nœud. Elle nécessite la combinaison des discours extratextuels et l’interprétation de la symbolique du titre.
II – OSIRIS, LE FAMA DE LA BONNE GOUVERNANCE
L’Egypte ancienne considère que les forces négatives, destructrices sont en lutte perpétuelle contre les forces positives. Sa mythologie oppose Seth, l’usurpateur du trône à son frère Osiris, souverain légitime, garant des lois, symbole de la terre fertile et nourricière, très populaire auprès de la population. Selon Plutarque , Osiris serait le fils adoptif de Zeus qui lui aurait donné le nom de Dionysos. Il est considéré au demeurant comme l’une des principales divinités du panthéon égyptien.
Le mythe d’Osiris est, en effet, le plus recherché de la mythologie de l’Egypte antique. Il évoque le meurtre d’Osiris et ses répercussions politiques. Le dictionnaire électronique wikipedia est très précis à ce sujet :
« Osiris (du grec ancien Ὄσιρις) est un dieu du panthéon égyptien et un roi mythique de l’Égypte antique. Inventeur de l’agriculture et de la religion, son règne est bienfaisant et civilisateur. Il meurt noyé dans le Nil, assassiné dans un complot organisé par Seth, son frère cadet. Malgré le démembrement de son corps, il retrouve la vie par la puissance magique de ses sœurs Isis et Nephtys. Le martyre d’Osiris lui vaut de gagner le monde de l’au-delà dont il devient le souverain et le juge suprême des lois de Maât » .
Il faut souligner que « Maât est, dans la mythologie égyptienne, la déesse de l’ordre, de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice. Elle est l’antithèse de l’isfet (le chaos, l’injustice, le désordre social, …) » .
Il en résulte qu’Osiris se détermine par son action bienfaisante, comme une divinité qui veille au bon fonctionnement de l’univers. En d’autres termes, Osiris est un « Fama » au sens où l’entend Harris Memel Fotê qui, dans son hommage du FPI (Front Populaire Ivoirien) à Djéni Kobina intitulé « Djéni Kobina est un Fama », rappelle son essence en ces termes : « Fama est le nom par lequel les dialectes mandingues désignent le chef (Fa), en tant qu’il est détenteur de force (Fangan), la force dans tous les sens du concept : la force psychologique ou charisme, la force intellectuelle ou intelligence, la force morale ou volonté, la force esthétique ou beauté, la force politique ou pouvoir » .
Osiris est « un Fama, non pas du type aristocratique de l’Afrique ancienne, mais un Fama de l’espèce démocratique » . Aussi est-il aisé de comprendre l’assertion de Macaire Etty dans l’avant-propos de l’ouvrage : « L’’expression ‘‘Reconstituer le corps glorieux d’Osiris’’ renvoie à la grande œuvre qui va présider à la renaissance de l’Afrique glorieuse figurée par l’Egypte ancienne, matrice de toutes les civilisations, lieu de sciences et de connaissances fondamentales » (p. 14 ).
La conscience osirienne est le noyau structurateur de toute lutte contre l’embrigadement des libertés et du pouvoir politiques. Elle est le socle de l’avenir de l’humanité, parce que l’essence d’un développement durable.
III – L’AFRIQUE, L’AVENIR DE L’HUMANITE
Le banquet que constitue Reconstituer le corps glorieux d’Osiris est une réflexion sur des concepts majeurs : l’intellectualisme, le panafricanisme, l’afrocentricité, la dégaoutique, la renaissance africaine, la politique ivoirienne, la philosophie, l’ivoirité, la sorcellerie. La préoccupation qui la centralise est : comment favoriser le développement du capital humain ? Elle est soutenue par une série d’interrogations qui enrichissent le débat : comment élever l’homme à la liberté ? Quelles sont les conditions d’élaboration d’une société nouvelle ? « Sommes-nous capables de sortir de notre égoïsme naturel pour répondre à l’appel d’un être qui souffre ? Devons-nous, par notre silence, notre indifférence, laisser des considérations de sexe, de race ou de conditions sociales écraser la justice ? Sommes-nous capables, enfin, de nous mobiliser pour assurer nos propres combats ? » (pp. 24-25).
Le professeur Boa-Thiémélé constate que la société africaine contemporaine est le lieu d’une dégradation du capital social due au néolibéralisme et à l’inconséquence des hommes politiques qui pérennisent une tradition d’inertie magnifiant le passé au détriment du présent. Il insiste sur la part de responsabilité des intellectuels en ces termes : « Ce n’est guère le débat intellectuel qui connait un recul, ce sont plutôt les intellectuels qui ne reculent pas suffisamment devant les événements, ils manquent le recul nécessaire à une analyse froide et profonde de la réalité » (p.152).
Pour lui, l’intellectuel ne doit pas se taire sur les mensonges, les dérives, les incohérences d’un pouvoir. Homme des idées, il a obligation de transfigurer les opinions et les intérêts en théories, de penser son existence en participant à rendre visible les valeurs. Alors, il doit vouer la maxime de son action à la défense des principes et des causes humanistes. Car « le vrai développement vise à supprimer la misère objective » (p. 160) ; c’est-à-dire l’ignorance, la superstition, l’analphabétisme.
Au demeurant, selon Boa-Thiémélé, le prototype de cet intellectuel est son maître Cheikh Anta Diop dont il déduit les perspectives de la pensée en ces termes : « Il s’agit de créer une nouvelle personnalité qui, libérée par la conscience historique, est convaincue de sa capacité à créer, à innover et à faire face à l’adversité sans subir les mutations contemporaines » (p.103). Cette personnalité est renforcée par une lecture pragmatique de la mémoire universelle : source de la confiance qui est le premier pas vers le développement. En effet, la réappropriation salutaire de la mémoire qui suppose la rénovation de la culture est « le point de départ de toute action progressiste en Afrique » (p.163). Ainsi s’explique la place primordiale de la philosophie dans tout processus de développement. Boa-Thiémélé affirme à juste titre : « Qui mieux que le philosophe peut penser la culture et l’homme comme fondement et finalité du développement ? » (p. 98).
Par conséquent, le philosophe ivoirien crée « la dégaoutique » qu’il conçoit comme une herméneutique, une critique des vérités établies, du dépassement de l’évidence. Rationalité ouverte, « la dégaoutique » participe de l’extirpation des systèmes clos, des habitudes de compréhension des codes de significations attribuées. « Utopie-critique » , la dégaoutique se veut une incitation au déploiement de la créativité historique, créant ainsi les conditions d’un autre regard par « la distanciation qui permet de refaire toutes les règles du jeu social » (p. 27) et de mieux s’orienter vers le futur.
Elle entend participer à la mise en place d’une société forte pour empêcher la concentration du pouvoir entre les mains de l’Etat et au renforcement de la culture de la paix et des valeurs démocratiques par l’éducation civique. Boa-Thiémélé soutient à la suite de Niamké Koffi, un collègue qui l’a influencé : « J’existe, je suis au monde puisqu’engagé dans un consensus qui préserve la paix et la stabilité sociale » (p. 41). C’est le lieu de préciser que, pour lui, la culture de la paix est consubstantielle à celle de la justice. En effet, dit-il : « la culture de la paix contient la culture de la justice : il ne peut y avoir de culture de la paix sans culture de justice capable de régler pacifiquement les différends » (p.45).
Cette quête des libertés judiciaires et de la paix sociale lui permet de relever les failles de la société africaine, ivoirienne en particulier :
– la corruption endémique : « un vaste réseau d’escroquerie capture les ressources collectives à des fins privées » (p.21),
– la perte des acquis sociaux,
– la dégradation de l’existant,
-le manque de culture de la maintenance ou de l’entretien,
-la perversion de la dialectique et de la rhétorique dans le jeu politique : « la politique se pervertit en machine à broyer les hommes lorsqu’elle se pense comme entreprise de recherche exclusive de la puissance et du pouvoir. La politique est une expérience éthique et morale » (p.45),
– un système éducatif inefficace : « Notre malheur, en Afrique, vient d’un système éducatif sans prise sur la vie quotidienne (p. 146),
– la faillite de l’Etat.
La révélation des failles permet au professeur Boa-Thiémélé d’égrener aisément le chapelet de ses solutions nécessaires à une véritable expression de l’Afrique:
– ne pas privatiser les secteurs sensibles et stratégiques que sont l’éducation, la santé et le logement,
– créer la socialité. Car « l’homme est responsable de l’espèce humaine, de la nature et des autres êtres vivants. En tant que frère du cosmos, de la faune, de la flore, il a le devoir de les protéger » (p.88),
– favoriser le développement humain qui implique la qualité de la vie et l’amélioration du bien-être,
– repenser et rénover la culture africaine pour la rendre plus performante,
– construire l’Etat civil le plus parfait possible ; c’est-à-dire la République. Cet Etat doit réellement donner de la valeur et de l’importance à l’éducation, aux infrastructures scolaires et universitaires,
– ouvrir les universités sur la société,
– favoriser l’établissement d’une société civile forte et organisée,
– adosser la politique aux valeurs.
En somme, il faut libérer l’Afrique de l’impérialisme en pérennisant la lutte de Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Kwamé Nkrumah, Nelson Mandela qui ont en commun le combat pour l’expression conséquente de l’homme par la liberté, l’égalité, la dignité, la justice. Ainsi ce continent donnera une leçon de tolérance à l’humanité. Raison pour laquelle, le professeur fait de l’Afrique l’avenir de la planète : « Nous allons reconstruire l’Afrique et sauver la planète de la barbarie et de l’injustice. C’est ce que je traduis par reconstruire le corps glorieux d’Osiris. L’avenir de l’humanité repose sur la Renaissance de l’Afrique » (p. 189).
Afro-optimiste, Boa-Thiémélé milite en faveur d’un nihilisme actif qui témoigne de la puissance de l’esprit, d’une culture intellectuelle fondée sur la nécessité de rêver le progrès et de renouer avec l’époque de grandeur et de fierté de l’Afrique telle qu’évoquée par Cheikh Anta Diop. En d’autres termes, le discours idéologique du professeur Boa-Thiémélé se détermine comme un appel à la réécriture d’une histoire plus humaine de l’humanité ; d’où cette profession de foi : « Tant que l’homme sera menacé dans son humanité, le silence sera une lâcheté » (p. 134).