Le nom de la troupe « Le théâtre des intrigants », est aussi prétentieux que les thèmes évoqués dans la pièce « Nazali Kinshasa » (Je suis Kinshasa en lingala). Sous la houlette du metteur en scène Suisse, Michel Faure et dans le cadre du Marché des arts du spectacle d’Abidjan (MASA) du 07 au 14 mars 2020, le public Abidjanais a eu droit à une représentation dans la salle Niangoran Porquet du Palais de la Culture de Treichville.
Les comédiens ont, pendant près d’une heure et demie, fait l’autopsie de la société congolaise à travers ses tares, ses manques, ses fous rires, ses recueillements, ses pleurs…
La scénographie est l’expression de cette population cosmopolite dont la vétusté de la toiture des maisons (à partir d’une vue aérienne) détermine la classe sociale. Michel Faure a donc utilisé des tôles usées, rouillées pour traduire la précarité des habitants de l’une des plus grandes villes d’Afrique, comme décor.
Une pile de dossiers mal rangés dans des classeurs usés sont étendus devant les comédiens (6) assis sur des chaises. Sans grand effort, le spectateur classe les comédiens en trois groupes : les jeunes (un homme et une femme); les jeunes adultes et les personnes âgées.
« Nazali Kinshasa » raconte les réalités de trois générations de « Kinois ». Malgré l’écoulement du temps, l’article 15 : « Débrouillez-vous » est toujours « la loi fondamentale » dans les rues. « L’organisation de l’informel » en désordre est toujours de mise.
Et, l’électricité, l’eau courante, le salaire, l’assainissement urbain, la santé, la gestion des déchets, le transport, le racket, la justice, la guerre, les enfants soldats, la déforestation, l’exploitation minière, l’école, l’église, la sorcellerie, les funérailles… constituent la trame de la pièce.
Comment dire autant de choses dans une seule représentation théâtrale ? Les actes se suivent sans transition. On passe d’un thème à l’autre sans répit. Et si pause il y a, lorsqu’on pense à un point final, une autre histoire reprend de plus belle.
Michel Faure a réussi par contre à aérer son spectacle. Des parties de danse collective, les jeux des acteurs dans les transports en commun sur des routes vétustes, mais aussi les monologues, comiques parfois, mélancoliques à souhait, lorsqu’un comédien raconte un fait, une histoire, « son » histoire.
« Nazali Kinshasa » est donc un long périple dans lequel sont embarqués les comédiens (une dualité entre le rôle et la réalité) et le spectateur qui devient très actif au fur et à mesure que l’histoire évolue. A nu, on perçoit Kinshasa dans ses déboires, sa laideur, ses injustices, ses problèmes sociaux. A nu, aussi, on s’imprègne de cet espoir qui ne quitte jamais le Kinois, cette joie de vivre, cet humanisme.
On a même l’impression, à force d’y vivre (de suivre le spectacle), que les organisations des droits de l’homme, les Nations Unies, les ONG en font un peu trop avec leurs chiffres lorsqu’on parle du Congo. Les données de ces structures sont omniprésentes dans la pièce et font naître un sentiment de complot. Un sentiment à faire crier sur tous les toits : « Nazali Kinshasa ».
SANOU A.