«L’histoire sans fin», texte de Fatou Sy, mise en scène par Jean Serge Godé, mise en lumière par Charles Ouintin Kouadjo, et interprétée par Olivier Assande, Marie-Paule Bokobri, et Abou Neves Niamké, a été présentée début décembre à Tunis et au Kef. Elle met en avant la souffrance des femmes comme un recommencement à l’infini…
«Je suis née dans une partie du monde où le nord est maudit. Le sud en décomposition. L’est en perdition. L’ouest oublié. Une partie du monde où le froid a remplacé le chaud. Où les larmes ne sèchent jamais. Une partie du monde où l’amour s’est évaporé. Où les pluies ne s’arrêtent jamais. Une partie du monde où la pluie et la merde sont consanguines.», ainsi commence la pièce ivoirienne «L’histoire sans fin», présentée début décembre à Tunis et au Kef.
Elle est le récit de la souffrance des femmes, de toutes les femmes, même si les deux personnages féminins de la pièce sont africaines subsahariennes et issues de pays en guerre contre eux-mêmes, comme la République démocratique du Congo (RDC) ou encore le Rwanda. Souffrance de la gent féminine car «Le corps de la femme est une source intarissable pour ces goules excitées de souffrances. Nous sommes une denrée éternelle pour eux.» pour reprendre les mots de la pièce ; «ces goules» étant les hommes qui pensent que la femme et surtout son corps sont à leur disposition et qui sont soit capable de faire ce qu’aucun animal n’oserait faire… Une souffrance qui recommence à l’infini.
«L’histoire sans fin» est, donc, l’histoire de toutes les femmes à travers deux femmes ayant subi des violences. L’une tombe enceinte suite à un viol, mais ne veut pas avorter. Et l’autre est battue par son mari parce qu’elle a refusé que ses filles deviennent des kamikazes. Chacune raconte le récit de ses mésaventures. Le comment du pourquoi qui les fait tomber de Charybde en Scylla. D’ailleurs un des personnages a déclaré : «Je vivais dans un monde imaginaire où rien n’existait à part mon bonheur. J’avais un mari que j’aimais et qui m’aimait et tout était beau et tout était idéal. Je n’avais pas compris que le malheur est une plaie contagieuse qui n’épargne personne».
Œil pour œil, dent pour dent
Pour survivre dans ce monde de malheur, certaines femmes sont arrivées à un point de non-retour. Elles luttent quitte à utiliser la violence et certaines extrémités, même si «malgré la colère, on ne se transforme pas en meurtrière du jour au lendemain». «Iboulda nous avait préparé une initiation hors du commun. Ce ne fut pas si difficile de tuer nos premières proies. Ils étaient à la recherche constante de vagin», a expliqué un personnage, avant que le dialogue s’instaure entre elle et la cheffe de camp. Un dialogue dans lequel cette dernière demande à la première de dépecer un cadavre pour que la cuisinière puisse préparer la chair et la servir comme repas. Et celle qui a dû passer à l’acte a déclaré, comme pour se justifier : «J’ai vomi mes triples et mes émotions avant de prendre le couteau et d’enlever la peau du cadavre (…) Je me disais pour m’encourager que s’il avait été vivant, il n’aurait eu aucun scrupule à faire la même chose avec moi. C’était une motivation efficace pour m’empêcher de penser que je me transformais en un monstre dégoûtant».
Manger un cadavre est très symbolique. D’une part, ceux qui le font pensent s’approprier sa force, mais, surtout, se venger.
Une scène dépouillée
Un mot est très important dans le texte de Fatou Sy. Il s’agit du mot ou plutôt du nom «Kivu». Le Kivu est une région de l’Est de la République démocratique du Congo, qui, depuis plus de 15 ans, souffre d’un conflit armé entre les forces armées de la RDC et de nombreux groupes armés. Les plus nombreuses victimes de ce conflit : les femmes qui sont enlevées, violées, battues, et tuées, pour nombre d’entre elles. Selon un article rapporté par l’écrivain et essayiste Bolya Baenga, «plus d’un demi-million de femmes ont été violées en RDC depuis 15 ans (…) dont 45 mille rien qu’en 2007» !
Pour mettre en valeur le texte, Jean Serge Godé, le metteur en scène, et Charles Ouintin Kouadjo, le créateur lumière, ont opté pour une scène dépouillée de tout décor. Seuls deux cadres métalliques se sont invités sur scène avec quelques vêtements et accessoires, permettant aux comédiens de se changer sur scène, mais, surtout, de marquer l’aspect dramatique. Ces effets, accrochés en vrac, n’étaient pas sans rappeler les vêtements et autres éparpillés autour des victimes, d’attentat ou de guerre.
Les lumières ont permis d’obtenir une sorte de clair-obscur, qui a accentué le malaise et la détresse des personnages, donnant un côté descente aux enfers.
Zouhour HARBAOUI
Un commentaire
Le compte rendu si je peux le dire ainsi est fidèle vraiment à ce que scénographiquement nous pensions, à la création de cette histoire sans fin qui est une plaie pour l’humanité.
Merci infiniment de tous les retours que nous avons reçu aussi dans le but de bonifier ce spectacle afin de continuer à bien le présenter partout où besoin se fera.
Je tiens à féliciter mon équipe ainsi qu’à toutes les personnes de bonne volonté qui nous accompagnent sur magnifique projet.