Titulaire d’un master en conservation et restauration digitale de l’université de Rome, Marco Lena est, actuellement, à Dakar pour un projet de sauvegarde du patrimoine cinématographique sénégalais.
Qu’appelle-t-on «archives cinématographiques» ?
On appelle archives cinématographiques toutes les collections, soit de privés, soit d’institutions, soit d’associations, qui ont comme buts la conservation et la valorisation du patrimoine cinématographique. Les plus connues dans le monde sont les cinémathèques ou les archives du film. Mais on doit, également, penser que la télévision, les musées, les ministères et les
grandes entreprises ont des archives audiovisuelles. Il existe une fédération des archives du film, la
FIAF (NDLR : Fédération internationale des archives du film). Cette fédération est née en 1938 et a pour but la conservation, l’archivage, la restauration et la mise en valeur de ces collections. Ses membres se réunissent chaque année !
Pourquoi est-il si important de conserver et de valoriser ces archives ?
Depuis son invention, la pellicule a eu une place très importante dans la vie et dans la société. On
peut dire qu’elle a été le témoin de faits les plus importants dans le monde. Elle est aussi un vecteur de divertissement, le plus utilisé dans notre quotidien. L’écran a presque mis à l’écart le papier et le livre. Maintenant, même les téléphones portables sont utilisés comme caméra pour filmer. On peut dire que la vraie invention qui a changé notre vie c’est le cinéma. C’est pourquoi il est si important de conserver et valoriser ces archives. C’est simple et complexe en même temps. Conserver et valoriser ces images c’est prendre soin de l’Histoire. Ce sont des témoins des temps. Par exemple, on peut voir l’évolution des vêtements et des langages de la société, en comparant avec le siècle dernier. Il y a des film qui ont signé une époque, des générations. La pellicule a, aussi, été utilisée pour sa force communicative, pour informer les masses mais également pour les endoctriner. Perdre ces pellicules signifie perdre une partie de l’Histoire mondiale.
Quels sont les problèmes rencontrés pour la conservation des archives ?
Le problème principal est un problème lié à la pellicule et à son histoire. Au début, le film a été vu comme un divertissement. On pouvait voir de petits films dans les fêtes foraines. On n’a pas pensé à les conserver terminée leur période d’exploitation. On les détruisait. En plus, le matériaux utilisé pour la fabrication de la pellicule était très inflammable et très sensible à l’humidité et aux grandes
variations de température. Le diacetate et le triacetate de cellulose (NDLR : deux polymères artificiels), même s’ils ne sont pas inflammables, ont le même problème de conservation. De plus, les premières boîtes en papier ou en fer se sont détériorées avec le temps, ce qui a attaqué la pellicule. C’est seulement dans les années 80, avec l’introduction du positif en polyester que l’on a pu régler le problème de dégradation du support l’image. Mais, cela reste toujours délicat. Il faut, donc, avoir de bonnes conditions de température, d’aération, gérer le taux d’humidité.
Pour les négatifs, c’est toujours plus compliqué. Mais, au moins, maintenant, on sait comment faire face pour de bonnes conditions de conservation. On maîtrise la technique analogique.Actuellement, le plus grand problème c’est de faire comprendre aux institutions l’importance de sauvegarder l’immense richesse contenue dans ces archives !
Comment se déroule le processus de conservation ?
Pour bien conserver les bobines et le matériel audiovisuel, il faut avoir des archives où température
et humidité sont à des niveaux qui ne les mettent pas en péril. La chaleur, les grandes variations de température, et l’humide sont les pires ennemis des bobines. Il y a aussi la poussière et tous les autres éléments qui peuvent attaquer la pellicule.
La numérisation des bobines à travers un scanner permet de pouvoir stocker des films in format
numérique, de les restaurer. Si l’on considère que chaque fois qu’on utilise une bobine dans un
projecteur on l’abîme, la numérisation permet, elle, de pouvoir continuer à regarder des anciennes pellicules sans les mettre en péril !
Dans les archives les plus et les mieux équipées, existent des freezer spéciaux pour congeler les pellicules et les conserver. Mais, c’est une technologie qui nécessite beaucoup de moyens. Donc, pour le moment, il faut faire confiance au numérique. Mais, il est, aussi, possible de retirer des pellicules sur des supports en polyester pour avoir soit un version numérique soit un version argentique.
Quelles sont les actions menées pour la valorisation ?
Par valorisation, on entende toutes les actions liées pour faire découvrir un film : pas seulement le projeter, mais également faire connaître son histoire, le présenter, dévoiler la curiosité liée à sa réalisation, faire parler le réalisateur, les acteurs, montrer les affiches du film et tous le matériel dit non filmique, organiser des moment de rencontres pour en discuter, etc.
Valoriser, ce n’est pas seulement montrer le film ; pour cela il y a les salles de cinéma. Valoriser, c’est prendre le temps de rentrer dans le film, le comprendre, et après cela le regarder avec un œil différent.
Vous êtes, actuellement, au Sénégal pour un projet de sauvegarde du patrimoine cinématographique sénégalais…
Oui. Pendant des décennie, les bobines ont été abandonnées dans des conditions catastrophiques. Mais, maintenant, avec l’aide de Tiziana Manfredi et du directeur de la Cinématographie sénégalaise, Hugues Diaz, nous sommes en train de déplacer toutes les bobines, que l’on peut sauver, dans de nouveaux locaux bien équipés pour le stockage, la conservation et l’archivage.
Dans ces archives, il n’y a pas seulement que les actualités sénégalaises, mais aussi des films, des
documentaire. C’était l’ancienne cinémathèque nationale sénégalaise. Et on espère qu’un jour le
Sénégal ouvrira, de nouveau, sa cinémathèque.
J’ai conçu et construit une table de visionnage pliable et transportable dans une valise afin de pouvoir visionner et réparer les bobines sans devoir les déplacer des laboratoires en Europe ou ailleurs. Je pense que c’est important que l’Afrique commence à prendre soin de ses archives. La décolonisation passe, aussi, à travers la possibilité d’avoir accès à sa propre histoire directement.
J’ai, également, travaillé au Maroc pour un projet de numérisation des négatifs des actualités marocaines. Cela a été un travail vraiment intéressant et enrichissant ; un voyage dans l’histoire du Maroc depuis son indépendance. Et quand on pense qu’un réalisateur, connu à l’international, comme Mohamed Reggad, a réalisé, durant une période de sa vie, cette actualité, cela dévoile un côté encore plus intéressant que personne ne connaît !
Propos recueillis
par Zouhour HARBAOUI