L’Association des écrivains de Côte d’Ivoire (Aeci), organise le 16 novembre une table ronde sur le thème: « Le rôle de l’intellectuel dans un contexte de crise ». Avant cette importante rencontre, Etty Macaire, président de l’AECI a accordé une interview au confrère Akin Soussoy d’Ebène.
Après le prix Régina Yaou de la nouvelle, après l’atelier sur la correction d’un manuscrit et celui sur la rédaction d’une nouvelle, l’Aeci (Association des écrivains de Côte d’Ivoire) met le cap sur une table ronde ; celle du 16 novembre prochain, elle est relative au rôle de l’intellectuel dans un contexte de crise. Qu’est-ce qui motive l’organisation d’un tel événement ?
Il est connu que notre pays traverse une crise
sans précédent. Dans un tel contexte la voix des intellectuels n’est pas
toujours audible ou du moins écoutée car couverte par les clameurs. D’aucuns
pensent même que cette voix n’existe pas s’ils n’accusent pas les intellectuels
de ne pas jouer leur rôle d’éclaireurs. Mais en fait qui sont les intellectuels
? Sont-ce les écrivains ? Sont-ce les universitaires ? Suffit-il d’être
instruit ou diplômé pour mériter le titre d’intellectuel ? Cette table ronde
vise à recadrer les choses. Nous entendons des panélistes qu’ils déconstruisent
la figure de l’intellectuel afin que tous soient éclairés sur son véritable
rôle. Cette table-ronde, comme vous le voyez, est un prétexte pour donner la
parole aux écrivains et universitaires, qui selon notre vision, doivent être
entendus dans un contexte de crise.
Quelle est la cible de cette table ronde?
Cette table ronde vise en premier lieu les
écrivains. Ils en sont par le biais de l’AECI les initiateurs et les
bénéficiaires. Elle vise également les enseignants, les universitaires, les
journalistes et tous ceux qui pensent que la prise de parole dans l’espace
public doit être organisée afin que la voix des sachants soit plus perceptible.
Je remercie de façon anticipée les quatre panélistes (Pr JM Kouakou, Pr Toh Bi
Emmanuel, Tiburce Koffi et Geoffroy-julien Kouao), le modérateur, le Pr Boa
Thiémélé Ramsès et le Président de la cérémonie, le Pr Samba Diakité, qui tous,
ont accepté chacun à son niveau de contribuer au succès de ce rendez-vous. Nous
avons des invités de marque comme Mme Danièle Boni Claverie, le Pr Adama
Coulibaly, le Pr Makagnon René Gnalega, Odile Pohann et bien d’autres
personnalités.
Quelles seront les grandes articulations de cette journée de table ronde ?
Cette rencontre qui va célébrer la pensée et
les idées va s’articuler autour de trois axes. D’abord le chapitre des
allocutions qui est la partie officielle, elle sera vraiment brève. Ensuite,
suivra le chapitre de l’intervention des quatre panélistes sous le contrôle et
l’animation d’un modérateur. Enfin, le chapitre qui va clore la table-ronde est
celui des échanges, par le jeu des questions et réponses, entre le public et
les panélistes. Nous comptons vraiment commencer tôt pour terminer tôt ; nous
comptons sur les intervenants afin qu’ils soient vraiment brefs et concis.
Quelles seront les attentes de l’Aeci ?
Notre attente est que nous sortons tous de là
avec le sentiment d’avoir une idée claire de ce qu’est un intellectuel et de
son rôle dans la cité. Cette table-ronde est le début d’une série de rencontres
de ce genre. L’Aeci va initier d’autres débats en rapport avec des sujets de
divers intérêts.
A la lecture de votre thème, ne serait-on pas tenté
de penser que c’est seulement dans une période de crise que l’intellectuel a un
rôle à jouer ?
Le penser ainsi c’est prendre un raccourci. Un
sujet formulé de cette façon répond au besoin de circonscrire le débat afin de
ne pas aller dans tous les sens. Il va sans dire aussi que c’est pendant les
moments de troubles et d’ombres qu’il est attendu de l’éclaireur qu’il joue
concrètement son rôle pour éviter à la masse le péril, l’abîme.
Sur le programme d’activités que vous avez transmis
à la presse cette table ronde ne figurait pas. A quoi est du ce réaménagement
de programme ?
Il y a eu simplement une reformulation et une
précision de l’activité. Le 07 novembre correspond à la journée mondiale de
l’écrivain africain. À cette occasion nous avons prévu de célébrer les
écrivains couchés notamment le Pr Sery Bailly qui est un animateur incontesté
de la vie des idées dans notre pays. Au lieu du 07 novembre, nous avons opté
pour le 16 novembre en tenant compte du calendrier de nos panélistes et autres
associés de l’évènement. Cette table ronde marque la célébration de la journée
mondiale de l’écrivain africain qui est bien inscrite dans notre programme.
Avant que les intellectuels ne jouent leur rôle dans
cette circonstance, ne faudrait-il pas en tout premier lieu que ce régime
garantisse la liberté d’expression ?
Le rôle des intellectuels, selon la sublime
formule du Pr Jean-Marie Kouakou est de dire, celui des politiques est de
faire. À vous entendre, c’est comme si les intellectuels doivent se taire,
croiser les bras et attendre que la liberté d’expression leur soit, au
préalable, garantie avant de s’exprimer. À ce rythme, l’on risque de ne jamais
parler. Bernard Dadié dit que le pays où l’on ne parle pas est un pays mort. Il
faut savoir que toute liberté s’arrache. Et puis, qui vous a dit que la liberté
d’expression est confisquée dans ce pays ? À nous de nous exprimer, à nous de
rompre le silence. Même si les médias publiques ne donnent pas la parole à tout
le monde, il revient aux écrivains et autres personnes de se donner les moyens
de s’exprimer, de créer eux-mêmes des espaces d’expression. Le livre que nous
écrivons est un espace d’expression. Et aujourd’hui facebook a démocratisé la
prise de parole. Seulement quel que soit le lieu, il faut éviter le jeu de la
médisance, de la calomnie et des accusations sans preuve pour ne pas tomber
sous le coup de la loi.
Au nombre des panelistes, figure Tiburce Jules
Koffi, journaliste, dramaturge et écrivain bien connu, qu’est-ce qui a motivé
le choix de cette personnalité culturelle ?
Pourquoi vous ne posez pas la même question
pour tous les panélistes ? Tiburce Koffi est un écrivain confirmé qui a commis
des livres, des essais par exemple, qui à mon avis, constituent un engagement
digne d’un intellectuel. Ses ouvrages « L’agonie du jardin » et « Le mal-être
spirituel des Noirs » sont une formidable prise de parole intellectuelle. Il
est incontestablement l’un des Ivoiriens qui participent régulièrement aux
débats d’intérêt national dans ce pays.
Certaines personnes estiment à tort ou à raison que
c’est justement les intellectuels qui créent les crises dans les états. Ils
seraient donc pyromanes d’abord et pompiers ensuite. Que leur répondez-vous ?
C’est tout l’intérêt de la table ronde que
vous relevez là. Cette accusation est-elle vraie ? Que valent les intellectuels
au sein des partis politiques ? Sont-ils des lumières ? Sont-ils d’ailleurs
écoutés ? Qu’est-ce qui les guide en acceptant de se mettre au service d’un
parti politique qui a ses règles et ses codes ? Voici autant de questions qui
seront débattues, je le pense, lors de cette rencontre qui promet.
En Centrafrique, une intellectuelle, Catherine Samba
Panza, a pesé de tout son poids pour éviter à son pays un embrasement, mais ces
exemples au féminin ne foisonnent pas et ce ne sont pas les femmes
intellectuelles qui manquent chez nous. Votre commentaire là-dessus.
Cette femme est surtout une militante des
droits de la femme. Par ailleurs, pour qu’elle puisse « peser de tout son
poids », il a fallu que Catherine Samba Panza soit élue présidente
intérimaire de ce pays. C’est à ce poste qu’elle a pu agir. Sans cela, je ne
pense pas que sa voix serait entendue. La femme est capable d’exploit, mais il
faut la mettre dans une situation favorable pour qu’elle déploie ses talents.
Sous nos cieux, en période de crise les femmes
intellectuelles sont très peu visibles. Quelle peut-en être la cause et comment
les inciter à jouer ce rôle d’intellectuelle pour lequel elles ont été formées
?
Tout problème lié à la femme est inséparable
de ce que Constance Yaï appelle « les traditions-prétextes ». Avant que la
femme intellectuelle ne soit visible, il faut faire évoluer les mentalités ; il
faut la sortir de certains cancans. Lorsque Jacqueline Oblé a été candidate à
la présidence de la république, des délégations ont été constituées pour aller
la prier de se retirer de la course sous prétexte qu’elle est une femme. Avec
une telle mentalité, il faut comprendre que la situation de la femme est
complexe. Mais les choses évoluent, lentement mais sûrement. Tanella Boni et
Véronique Tadjo, deux universitaires et écrivaines, qui, pendant la crise, ont
eu à s’exprimer sur différents espaces, sans faux fuyant, lorsqu’elles ont été
sollicitées. Je pense que nous devons songer à leur donner de plus en plus la
parole. Et Pourquoi pas organiser une table-ronde dans ce sens ? Nous allons
aviser.
Un mot pour conclure…
La table ronde du 16 novembre est ouverte au
public. Nous comptons démarrer à 09H30, pour finir autour de midi. Je pense qu’en
trois heures, il faut qu’on ait dit l’essentiel. Je compte sur la ponctualité
des grands acteurs du rendez-vous.
Interview
réalisée par Akin Soussoy d’Ebène