«Cinéma et mémoire», c’est dans cette section qu’a été présenté «Amok !» du réalisateur marocain Souheil Ben Barka. Un film traitant de l’apartheid et du soulèvement de Soweto dans les années 70, à travers le personnage d’un instituteur venu de sa campagne à Johannesburg.
«Je ne redoute qu’une seule chose dans ma vie, le jour où nous commencerons à les aimer… ce jour là, ils se mettront à nous haïr» a déclaré Horn, un propriétaire terrien blanc à son serviteur noir. C’est l’une des phrases, à notre humble avis, la plus significative de «Amok !» du réalisateur marocain Souheil Ben Barka. Ce long métrage de 120 minutes et datant de 1982 a été projeté lors des Journées cinématographiques de Carthage, dans la section «Cinéma et mémoire». Ce n’est pas la première fois que cette fiction a été projetée dans sa version restaurée puisque la première mondiale a eu lieu le 31 août dernier à Sousse lors de la cinquième édition de «Cinéma au musée».
Librement adapté de «Cry the Beloved Country» (Pleure ô pays bien aimé), roman du Sud-Africain Alan Patton, dénonçant la ségrégation raciale dont sont victimes les Noirs, «Amok !», qui signifie «fous furieux», désignant toutes les forces armées (militaires et policiers blancs) et par là, tous les Blancs d’Afrique du Sud, est une coproduction entre le Maroc, le Sénégal et la Guinée, réunissant de grands noms comme Robert Liensol, Miriam Makéba ou encore Douta Seck.
D’une campagne de la vie à une ville de la mort
Au début des années 70, Mathieu Sempala, instituteur d’un village zoulou en Afrique du Sud, doit se rendre à Johannesburg suite à une lettre du Révérend Norje lui annonçant la maladie de sa sœur Joséphine, qu’il n’a pas revu depuis des années. Cette maladie n’est qu’un prétexte car le Révérend l’a fait venir pour qu’il sauve Joséphine, et le gamin de celle-ci, de la drogue, de la prostitution et de la violence.
Sempala découvre un autre monde loin de sa campagne tranquille. Son frère Délius, qui avait, lui aussi, disparu depuis des années, est devenu un leader syndical actif et lui révèle la réalité des mineurs et ouvriers noirs dans la métropole sud-africaine.
Mathieu Sempala découvre, également, que son fils Gasha, est devenu un voleur et qu’il est en prison pour le meurtre d’Elton Horn, journaliste et fils du propriétaire terrien que l’instituteur côtoie au village. Gasha a été instrumentalisé par des Blancs, qui lui avaient promis une forte somme et de le faire sortir de prison, désireux de se débarrasser d’un Blanc, libéral et farouche défenseur des droits des Noirs. Le meurtre de droit commun était en fait un assassinat politique. Mais peu importe. Gasha sera pendu car, comme l’a dit le Révérend Norje, «Quand un Noir tue un blanc dans ce pays, même Dieu ne peut plus rien pour lui !».
Après avoir assisté au massacre des enfants de Soweto, et appris les morts de son fils, de son frère, et de son neveu, et la folie de sa sœur, Mathieu Sempala retournera chez lui, changé à jamais.
Un titre révélateur
Le titre du film, «Amok !», est révélateur. L’amok est une maladie psychiatrique qui désigne une forme de folie meurtrière, et par extension, le comportement spécifique d’une personne qui, subitement, se lance dans une course effrénée et meurtrière en blessant, tuant ou injuriant toutes les personnes qu’elle croise.
Amok, dans le long métrage de Souheil Ben Barka, représente les forces armées, mais aussi les Blancs. Le massacre de Soweto est une preuve de leur rage incontrôlable, de leur comportement meurtrier sans discernement envers les Noirs. Et le spectateur ne peut rester indifférent face à cet acharnement criminel. Cette rage est, également, montrée d’une autre manière, quand une Blanche est sortie d’un immeuble de force par la police et embarquée, devant des passants de type caucasien, allant chacun de son commentaire, parce qu’elle avait fait monter,chez elle, son amant noir.
Même si les acteurs font plus comédiens de théâtre, il n’en reste pas moins qu’ «Amok !» est un véritable plaidoyer contre la politique de l’Apartheid, et, donc, pour la liberté en Afrique du Sud, et contre la diminution de l’homme. Il montre, aussi, qu’il y a un grand décalage entre la campagne et la ville, sur bien des points, notamment sur la vie quotidienne et le rapport à la réalité.
«Amok !» est un film émaillé de sensibilités et d’émotions fortes.
Zouhour HARBAOUI